Commander James Bond France

Ces dernières semaines agitées par des nouvelles sur le tournage de SPECTRE nous rappellent que le tournage d’un James Bond, au delà du divertissement, est un phénomène politique : gestion des villes, soupçons de corruption, accords de tournage…

Pour être plus précis, le cinéma touche automatiquement à des questions politiques dès qu’un tournage a lieu, et celui de SPECTRE n’en est qu’une illustration. Voyons tout d’abord les faits !

Rome sous son meilleur jour

Au début du mois, les médias italiens s’exclament “le maire de Rome se nomme Bond… James Bond” (source : Linkiesta) et plusieurs articles (Courrier International, The Guardian et ce bon article du Telegraph) donnaient de l’écho à ce constat : le tournage de SPECTRE dans la capitale italienne apporte un coup de vent frais à la ville. En même temps que le tournage et les courses poursuites entre Aston Martin et Jaguar prennent place sur les routes romaines, la production nettoie les murs des graffitis, fournit des repas chauds aux sans abris aux alentours du Vatican et participe à diverses rénovations. Un tournage qui fait donc des heureux, et bénéficie non seulement à la population mais aussi à l’image que les autorités italiennes rêveraient de donner à la ville.

James Bond maire de Rome
James Bond maire de Rome

En effet, la ville de Rome n’accueille plus autant de touristes, et les critiques reçues par la ville sont nombreuses en ce qui concernent la saleté ou l’état des batiments historiques qui se détériorent avec moult arnaqueurs, mendiants et pièges à touristes qui pullulent autour des sites de visites. Normal étant donné la crise. Mais les gestes généreux de la production viennent aussi à point nommé : en amont du tournage à Rome, la production a du effectivement revoir certaines de ses ambitions devant nombre de plaintes et de critiques jugeant que le tournage était trop dangereux pour la préservation de certains ponts et monuments (notamment la route des Quatre Fontaines), ou était déplacé (par rapport au tournage de certaines scènes dans un cimetière romain).

Au final, la production terminera bientôt son tournage dans la ville de Rome sous les meilleurs auspices, laissant l’image souriante de Daniel Craig et Monica Bellucci sur les hauteurs du forum.

Cardiff dit “no” à Bond

Direction le Pays de Galles, patrie de Timothy Dalton. Comme toute nation du Royaume Unie, le Pays de Galle a une Assemblée Nationale réunie à Cardiff dans un élégant bâtiment baptisé la Senedd Siembre. On a appris le vendredi 13 mars que la Commission de l’Assemblée s’est prononcée contre une demande de la production de venir profiter de cette splendeur architecturale en filmant au sein de la Chambre.

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Le communiqué suivant était sorti (source : The Guardian) :

La Chambre de la Senedd est le centre de la démocratie galoise et le Siège de son gouvernement. Des activités médiatiques y sont autorisées quand elles concernent le travail de cette Assemblée ou reflètent le rôle de la Chambre comme point focal de la vie civique galloise. Ce n’est pas un studio de cinéma.
Les décisions par rapport aux demandes d’industries créatives pour l’utilisation du patrimoine de l’Assemblée sont faites au cas par cas, et nous sommes heureux d’avoir collaboré avec plusieurs entreprises de télé et de cinéma pour la production de films dont notamment Sherlock et Doctor Who. La requête par James Bond d’utiliser la chambre a reçu un avis négatif et d’autres lieux alternatifs ont été proposés dans la région qui ont été déclinés par la production.

Nous avons ici un bâtiment habitué à accueillir des tournages, mais pas James Bond… pas cette fois.

Bienvenido a Mexico, Mister Bond

1009548-Drapeau_du_MexiqueL’événement le plus récent en date est la révélation d’une somme de 14 millions de dollars qui aurait été versée par les autorités mexicaines à la maison de production de SPECTRE pour modifier son scénario et les lieux filmés par la caméra de Sam Mendès afin de donner une meilleure image de la ville (voir notre article ici).

Rappelons que lors de la conférence de presse qui a suivi, le producteur Michael G. Wilson a annoncé que les autorités mexicaines n’étaient pas concernées, et qu’une somme avait effectivement été versée par un groupement d’entreprises voulant promouvoir le tourisme au Mexique, et que le gouvernement mexicain n’avait eu “aucune influence créative”, ni sur les choix de casting, tout en soulignant le soutien qu’ils ont reçu de leur part pour que le tournage se déroule dans de bonnes conditions.

Enfin, il ne faudrait pas oublier le fameux scandale des fuites de Sony déclenché l’année dernière depuis la Corée du Nord. Si ce n’est pas SPECTRE qui était visé, le 24e James Bond a été une victime collatérale.

Strictly business

Dans le cas du Mexique, mes amis chroniqueurs de CJB s’insurgent et crient au scandale. Dans le cas du Pays de Galle, les anglais boudent et se disent que des efforts auraient pu être faits. Dans le cas de Rome, on se congratule et se félicite d’un tournage généreux. Pourtant, qu’est-ce qui différencie ces différentes affaires ? Au final, la question qui se pose est toujours la même et se résume en deux questions : l’économie, et la visibilité.

Les films ne peuvent pas toujours utiliser des pays fictifs (voir notre article sur les Destinations Mystères) ou des pays qui se font passer pour un autre pour réaliser leur scènes d’actions (comme récemment le Panama ou la République Tchèque) Il faut parfois mouiller sa chemise, sortir des studios, et trouver des pays qui sont prêts à accueillir les exploits fous et explosifs de Bond.

Filmer en pays étranger est délicat : il y a des questions de régulation du travail, de coût du tournage, et de contrôle de la visibilité par le pays qui l’accueille.

Plaçons nous dans la peau du pays qui l’accueille : accueillir le tournage d’un James Bond participe à l’économie du pays de plusieurs manière : le tournage rapporte des revenus aux locaux qui y travaillent, permet d’attirer d’autres tournages de films qui verront que tout s’y déroule pour le mieux, et bénéficie au tourisme en véhiculant une bonne image du pays.

Mais tous les pays ne sont pas égaux quand il s’agit d’attirer la production d’un film, et chacun a sa stratégie pour attirer et gérer les tournages de films comme ceux de James Bond !

Les pays où le cinéma est un business bien installé

Nous avons d’abord les pays habitués à accueillir des tournages : les États-Unis, le Royaume-uni, l’Allemagne ou la France. Bien souvent, ces pays ont leurs propres studios et législations pour accueillir les tournages, ce qui fait que la production du film se fait au niveau local : en Côte d’Azur, avec le Maire de Londres, avec l’Opéra de Bregenz en Autriche ou les studios de Berlin. Ils guident les productions vers les décors à utiliser, facilitent le tournage, règlent les autorisations, et la production n’a plus qu’à signer les chèques. Le problème, c’est que de telles solutions coûtent cher à la production.

De nouveau la Senedd. Un bien beau bâtiment qu'on ne verra pas dans SPECTRE
De nouveau la Senedd. Un bien beau bâtiment qu’on ne verra pas dans SPECTRE

Pour des villes ou des pays qui sont habitués à recevoir des demandes de tournage, ils peuvent facilement accepter ou décliner une demande : leur économie et leur image de marque peut continuer à exister indépendamment du tournage. C’est le cas de la Senedd au Pays de Galles : elle possède un superbe bâtiment, et n’a aucun intérêt à voir un Bond s’y dérouler et déclencher une nouvelle fusillade comme pour la fameuse scène de Skyfall au cœur de Londres. Si en plus le bâtiment doit servir de doublure pour figurer un autre lieu, pourquoi s’embêter à mettre à disposition un tel building avec tous les inconvénients que cela implique ? Ce qui est un avantage pour le Palais de Blenheim en Angleterre (qui sert de doublure à un bâtiment italien de SPECTRE), n’est pas un avantage pour la Senedd, son image et son économie. Elle n’a rien à y gagner.

Les pays où le cinéma est une stratégie économique

Nous avons ensuite les pays émergents dans l’industrie cinématographique. Vous ne vous en rendez pas compte, mais vous passez votre temps à les voir dans les films : la Croatie, le Maroc, l’Irlande, la République Tchèque ou la Turquie. Ce sont des pays qui ont tout à fait compris les intérêts que peuvent apporter un tournage. Cela fait travailler la population locale, et permet d’attirer encore plus de films. Ces pays ont une vraie stratégie pour attirer les tournages, et cela leur permet de tirer les ficelles avec les autorités pour faciliter le tournage.

Faites comme chez vous Mr. Bond (tournage de Skyfall à Istanbul)
Faites comme chez vous Mr. Bond (tournage de Skyfall à Istanbul)

Les grosses productions en mal de décors sont ravies d’aller dans ces pays à moindre coûts et avec toutes les facilités. C’est pour cela que la Tunisie qui avait accueilli les tournages de Star Wars sombre aujourd’hui dans l’oubli aux dépends des Émirats Arabes, pendant que le Maroc développe ses propres studios et accueille les tournages de nombreuses séries et films (Game Of thrones, Homeland, Mission Impossible 5, Inception, American Sniper et presque tous les films se déroulant au Proche Orient).

Rien d’étonnant à ce que, après le refus du tournage de Skyfall en Inde, James Bond se soit rabattu en Turquie. Rien d’étonnant à ce que la production de Quantum of Solace soit allé au Panama où personne ne tourne pour figurer la Bolivie et Haïti. Rien d’étonnant à ce que la République Tchèque offre la plupart des décors de Casino Royale, et encore moins que la prochaine étape du tournage de SPECTRE sera le Maroc.

"- C'est quand même beau l'Afghanistan. - Mais non James, c'est au Maroc que tout le film est tourné"
“- C’est quand même beau l’Afghanistan. – Mais non James, c’est au Maroc que tout le film est tourné”

Soyez sûrs que dans de tels pays qui se plient en quatre pour les besoins des productions, vous n’entendrez pas trop parler des grincements de dents des autorités locales (comme en Turquie pour Skyfall) ou du contexte politique (répressions et Sahara Occidental au Maroc). Ne les jugez pas trop durement ! C’est grâce à une telle politique que les premiers James Bond ont vu le jour : les premiers films étaient en effet subventionnés par le Royaume Uni sous condition qu’une majorité de scènes soient tournées en Angleterre.

Le cinéma sans vagues… ou presque

Restent alors les pays qui n’ont pas l’habitude d’accueillir des tournages occidentaux, et qui pourtant sont de si grands pays, de si grands décors et de si grands marchés ! Inde, Chine, Brésil, Égypte, Mexique. Il y a une période où Bond pouvait s’y amener librement, filmer et rentrer. Par exemple pour l’Espion qui m’aimait, où Roger Moore se permet une réplique sur les “constructeurs égyptiens” quand le temple s’écroule, au nez et à la barbe du superviseur du pays présent sur le tournage pour s’assurer de l’image donnée par le pays.

L'époque bénie des tournages gratuits
L’époque bénie des tournages gratuits

Ces pays ont des réactions contrastées : ils sont à la fois contents de voir arriver des tournages qui redorent leur blason, et à la fois inquiets des mauvaises images qu’on aimerait bien ne pas trop voir dans le film. Et lorsqu’on est confronté au pouvoir et aux rigidités d’un tel système (comme celui d’un gouvernement ou l’administration d’une ville), mieux vaut montrer patte blanche si on veut profiter du décors et des facilités de tournage. Par exemple, dans le cas de l’Inde où devait se filmer au début la poursuite en train de Skyfall, le pays qui avait accueilli les péripéties d’Octopussy demandait trop d’ajustement à la production, ne voulant pas que Bond donne “un mauvais exemple” en se promenant sur les toits d’un train dans un pays où de trop nombreux accidents de la sorte surviennent.

En Chine, la production a réussit à négocier quelques plans larges et une belle mise en scène de Shanghai comme une capitale florissante et rien sur sa politique. A charge des chinois de corriger les quelques traces “inadmissibles” comme la possibilité de tuer un garde chinois ou qu’il ait existé des bordels à Macao.

La ville de Rome a été une capitale du cinéma du cinéma à une époque. C’était avant que ne brûlent les studios de la Cinecitta et que la crise ne plombe les budgets des villes du sud (pendant que Sienne et Venise continuent d’accueillir des tournages). Bref, qu’il s’agisse de Rome ou de Mexico, la situation est la même : il s’agit de trouver un terrain d’entente avec les institutions locales pas habituées à un tel remue-ménage pour permettre l’introduction d’un tournage dans des villes qui placent tellement d’espoir dans la visibilité acquise via un James Bond, tout en restant très frileuses.

Corruption ou négociations ?
Corruption ou négociation ?

Ces négociations passent la plupart du temps inaperçues et nul doute que pour le tournage des anciens James Bond, de tels accords ont du être faits beaucoup plus simplement pour tourner à l’étranger. Cela se passe durant la pré-production, et les termes des tournages se posent en questions de salaire des employés, du nombre de locaux recrutés, du choix des bâtiments concernés, de paiement des taxes, aux administrations des villes que le tournage perturbent. Certaines fois, la production doit négocier de nombreuses concessions pour pouvoir tourner, dans d’autres, tout est fait pour encourager le film à tourner aux bons endroits.

Les versement d’encouragement financiers par les entreprises mexicaines de tourismes sont ils différents des avantages fiscaux prodigués par le Maroc ? Les rénovations romaines sont-elles si différentes de l’embauche d’une actrice et de figurants mexicains pour jouer dans le film ? Éthiquement oui, mais financièrement, c’est le déroulement normal d’un tournage. Si les films de James Bond ont un mérite, c’est celui de persévérer dans les tournages à l’étranger, et encourager les économies locales à une époque où l’utilisation des fonds verts dominent.

Rappelons nous le proverbe : “Quand on est à Rome, il faut faire comme les romains pour faire exploser les Aston Martin”.[FA_Lite id=”8452″]

Commenter

  • On pourrait rajouter à ces diverses péripéties l’hilarante anecdote de la Commission du Film en Île de France qui tenta grossièrement d’attirer Eon et Sony à Versailles en 2010 en proposant naïvement un ” scénario livré clefs en mains ” à la Production – incluant tous les poncifs possibles et imaginables d’un blocbuster 007 tel que se le représentaient les aimables élus de la ville . Et en lançant avant même d’attendre une réponse quelconque de Eon – une campagne virale de désinformation tout azimut tendant à faire croire que c’était donc dans la poche et que James Bond allait incessamment débarquer sous les ors du Palais de Versailles . Tactique imbécile qui leur ferma définitivement la porte en ridiculisant la ville …

  • Excellent ! Ça montre bien à quel point le cinéma est un business qui ne s’improvise pas.
    Par exemple, il y a un musée à Prague qui sert pour de nombreuses scènes de Casino Royale et dans énormément d’autres films de façon tout à fait anodine. Ca ne se voit pas, mais ça rapporte beaucoup de renommée et de revenus au musée.
    Chacun sa manière de s’arranger avec EON & co 🙂

  • Pour Versailles , j’avais tenté d’intervenir en prévenant la fameuse Commission dès que j’avais eu connaissance de la démarche . Ils m’ont traité de haut et envoyé balader . J’ai donc simplement envoyé un mail à Eon reprenant l’une des manchettes tonitruantes d’un site de Presse .
    En plus le fameux ‘ scénario ‘ échafaudé par les hautes instances de là-dite commission était misérable en terme d’originalité ( j’ai fini par réussir à me le procurer ) : poursuites à cheval,duel dans les douves feux d’artifice et – clou du spectacle ! – décollage d’un hélicoptère privé sur le parvis du Palais . ah oué , c’est sûr que ça en jetait , ça …

  • Hum, cela sonne comme intéressant, personnellement, je ne suis pas contre le fait d’en lire un résumé… Wah, ça sonne loin d’être épic tout de même… Chaud quand même, le pire c’est que 2010, ce n’est pas si loin !
    By the way, superbe article comme à ton habitude Yvain. Un sacré buisness !

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