Casino Royale est le seul roman de James Bond à avoir eu le droit à trois adaptations « cinématographiques ». Vous connaissez sans doute le film de 2006 avec Daniel Craig, probablement le téléfilm de 1954, et peut-être avez-vous déjà eu le courage de regarder la parodie de 1967 jusqu’au bout. Mais saviez-vous qu’il était envisagé dans les années 50 un autre film Casino Royale, et ce sans même James Bond ?
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Petit rappel : avant d’être quoi que ce soit d’autre, Casino Royale fut d’abord un roman de 1953 écrit par Ian Fleming. Dans celui-ci Le Chiffre, un agent soviétique, investit en douce l’argent que ses employeurs lui ont confié dans une chaîne de bordels français. Il espère ainsi faire fructifier les fonds, mais manque de chance pour lui, la loi Marthe Richard est votée environ trois mois plus tard. Celle-ci a pour but de faire fermer les maisons closes et de renforcer la lutte contre le proxénétisme, ce qui réduit à néant la valeur des investissements du Chiffre. De peur que le SMERSH ne lui règle son compte, Le Chiffre se rend au casino de Royale-les-Eaux pour essayer de récupérer de l’argent lors d’une grosse partie de baccarat. James Bond a pour mission de le battre à la table de jeux…
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En 1954 Ian Fleming a vendu certains des droits sur son premier roman à CBS qui en a fait un téléfilm. L’année suivante, le producteur/réalisateur Gregory Ratoff (qui avait déjà acheté un contrat d’option sur l’adaptation du roman une semaine avant CBS) achète tous les droits nécessaires pour en faire une adaptation cinématographique.
Un des scénaristes que Ratoff approche alors pour écrire le film est Lorenzo Semple Jr., un des futurs écrivains du Bond Jamais plus jamais et de la série Batman des années 60.
– Lorenzo Semple Jr : J’étais un jeune homme brillant fraîchement sorti de l’université et Gregory m’a engagé pour écrire le scénario. Je travaillais sans salaire, mais c’était très amusant. Nous avons voyagé à travers le monde pendant qu’il jouait dans les casinos, soi-disant en train de faire des recherches. Il était trop vieux jeu pour travailler, alors je restais assis devant la machine à écrire quatre ou cinq heures par jour dans n’importe quel hôtel où nous logions et j’écrivais des pages et des scènes. J’ai probablement écrit plusieurs scripts au cours d’une année de voyage à travers l’Europe. Gregory a trouvé l’histoire beaucoup trop ridicule. Il a dit : « personne ne croit ce James Bond, alors faisons-en une femme ». […] L’idée était de l’écrire comme un véhicule pour [l’actrice] Susan Hayward.
En janvier 1956, le New York Times rapporte que Ratoff a formé une compagnie de production indépendante et que celle-ci travaille sur deux projets, dont un certain Casino Royale. L’article mentionne également que le film sera tourné (en couleurs) dans l’année, en Angleterre, Italie (San Remo) et en Espagne ou au Portugal (Estoril). La 20th Century Fox serait également de la partie. Le partenaire de Ratoff, Michael Garrison, déclare être en négociation avec deux stars très connues et « un scénariste notable » (probablement pas Semple, qui était encore un inconnu à cette époque). « Casino Royale peut être décrit comme un film d’espionnage de la Seconde Guerre mondiale, se déroulant en partie dans le casino du titre et qui concerne une recherche de secrets gouvernementaux volés qui emmène les personnages à travers des endroits aussi colorés qu’Estoril et San Remo », ajoute Garrison.
Le 20 février 1957, Gregory Ratoff écrit au scénariste américain Ben Hecht qui se trouve alors en Italie. Dans sa lettre il est possible de lire : « maintenant parlons business une minute. Je suis libre, capable et ai la volonté d’arriver en Italie avec de l’argent en cash dans mes poches pour commencer à travailler sur Casino Royale avec vous. J’amènerai avec moi un shooting script complet qui sera construit, je suis sûr, à au moins 75% d’une manière que vous aimerez ». Ratoff ajoute que la période qui lui serait idéale pour travailler avec Hecht sur le scénario du film serait du 16 mars au 1er avril. « J’ai besoin de vous sur ce script plus que je n’ai eu besoin de quiconque de toute ma vie », conclut Ratoff sur l’aspect business de sa lettre.
Deux mois après cette lettre un script de 146 pages de « Casino Royale » a été achevé le 20 avril 1957. La page de couverture ne donne pas de nom de scénariste. Ma copie a été tenue à un moment par Ben Hecht dans la mesure où elle se trouvait avec d’autres versions de Casino Royale écrites par le scénariste dans les années 60 (dont nous aurons l’occasion de reparler prochainement). Toutefois rien ne garantit qu’il en ait été l’auteur, Ratoff lui ayant peut-être plutôt donné comme point de départ comme évoqué dans son courrier du 20 février.
Script du 20 avril 1957 : quand Lucky Fortunato se la jouait James Bond
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Ce script d’un auteur inconnu s’ouvre sur l’hôtel Waldorf-Astoria de New York où nous faisons la connaissance de notre héros : Lucky Fortunato. En effet pour des raisons obscures, James Bond est complètement absent de ce script, remplacé par ce personnage !
En 1957 la plupart des gens ne savaient pas qui était James Bond : les films n’étaient pas sortis, le Daily Express n’avait pas encore commencé ses aventures en comic-strips et le président Kennedy n’avait pas encore donné un coup de pouce aux ventes des romans. Certes, le Premier ministre britannique Anthony Eden avait passé plusieurs semaines à la villa jamaïcaine de Fleming quelques mois tôt, mais James Bond restait, aux États-Unis, un personnage peu connu de sorte que l’idée d’inventer un tout autre héros qui pourrait parler davantage au public américain ne semble pas totalement insensée. On de souviens d’ailleurs que CBS avait américanisé James Bond dans le téléfilm de 1954 pour la télévision américaine.
Un cigare à la bouche, Lucky est comme à chaque fin de matinée à cette heure, en train de se faire raser chez le barbier de l’hôtel. Trois de ses hommes l’accompagnent : Joe, Sam et Maxie. Son physique n’est pas décrit mais (comme vous aurez l’occasion de le ressentir), son langage est du genre films américains de cette époque, Lucky utilise notamment ici « kid » ou « boys » envers ses interlocuteurs.
Ils sont rejoints par Jensen, l’« ami et avocat » de Lucky et évoquent Dixie Dean, la petite amie de Lucky décrite comme une « déesse blonde » vedette de cinéma . La presse rapporte qu’un mariage serait prévu entre eux (bien que ce soit une femme déjà mariée) et Jensen lui conseille notamment de ne pas emménager en Californie car en cas de divorce elle aurait la moitié de ses possessions.
– Lucky : Essayerais-tu de dire qu’entre Dixie et moi ça ne durera pas ? […] Mais je suis amoureux de Dixie !
– Jensen : Uh-huh. Je me souviens des dix autres dernières fois où tu étais amoureux. Alors soyons brutalement réalistes.
Jensen commence à parler affaire, la demande d’aide de Lucky auprès de Washington pour importer les Folies Bergères aux États-Unis (pour son établissement à Las Vegas) a été refusée. Ils sont soudain rejoints par un agent du FBI nommé Harrity qui veut parler à Lucky, en privé. Son avocat s’y oppose, mais Lucky accepte en disant : « Je suis un homme d’affaires. J’ai certains secrets d’affaires, tout comme General Motors. À part ça, je suis ouvert ».
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Lucky part dans sa limousine au RCA Building (de nos jours Comcast Building) avec Harrity.
– Lucky : Je ne savais pas que vous autres aviez un bureau ici.
– Harrity : On n’en a pas.
En effet Harrity ne l’amène pas aux bureaux du FBI mais dans une salle de réunion dans laquelle se trouve une dizaine d’hommes autour d’une grande table, certains portant des uniformes militaires. Lucky se demande ce qu’il se passe et s’il ne devrait pas finalement faire venir son avocat. Un certain M. Brown lui répond :
– Brown : Dans les circonstances, j’ai peur que non [vous ne pouvez pas appeler votre avocat].
– Lucky : Cela vous dérangerait de me dire quelles sont ces circonstances ? Sont-elles si spéciales au point de pouvoir suspendre la Constitution des États-Unis ?
– Brown : Je ne veux pas vous effrayer, mais vous-êtes peut-être en ce moment dans la seule pièce aux États-Unis où la Constitution ne s’applique pas.
– Lucky (regardant un portrait du président Eisenhower accroché au mur) : Est-ce que mon ami là-haut a entendu parler de ces règles ?
Brown dit que l’oncle Sam aimerait demander une faveur à Lucky.
– Lucky : Est-ce que je ne deviens pas trop vieux pour ça ? J’ai été Major durant la Seconde Guerre mais depuis…
– Brown : Une [médaille] Silver Star à Anzio. On sait tout de vous, Lucky.
Brown le présente au « colonel Whiting de la section “M” du renseignement britannique ».
– Lucky : Ouais ? Je commence à me demander si vous vous adressez au bon gars ? Mon nom est Lucky. Je parie un peu. Je possède des biens immobiliers, ainsi qu’une usine qui produit environ 27 % de tous les équipements de jeux d’argents produits dans ces États-Unis. De l’équipement légal, messieurs. Je paie mes impôts. […] Mais quant à tous ces trucs d’agents secrets, eh bien, ce n’est tout simplement pas mon domaine.
(Il n’est jamais bien clair dans le script si toutes les entreprises de Lucky sont bien légales, par certains dialogues cités plus bas et son nom – Lucky Fortunato est-il une référence au mafieux Lucky Luciano ? – il peut sembler qu’il ait aussi un côté gangster, mais rien n’est jamais explicitement confirmé).
Ils lui assurent qu’ils savent à qui ils s’adressent et Whiting propose de continuer cette conversation dans sa propre chambre d’hôtel situé au Plaza Hotel. Ils vont donc là-bas et à l’aide d’un projecteur montrent à Lucky une vidéo sur laquelle se trouve un homme en maillot de bain, décrit comme « beau, sensuel, puissant ».
– Whiting : Vous regardez présentement un homme connu sous le nom de Monsieur Le Chiffre, alias Herr Ziffer, alias Señor Nombre. La vidéo a été prise il y a trois semaines à Royale-les-Eaux, une station balnéaire près de Deauville sur la côte de la Manche. Étudiez-le bien, messieurs. Sous le couvert de ses fonctions de Trésorier d’une association des constructeurs européens, monsieur Le Chiffre est l’un des agents secrets les plus puissants de « Redland ». […] Dans le service pour lequel je travaille, les nations ennemies de la nôtre sont désignées sous le nom de « Redland ». […] Le Chiffre est contrôlé par un quartier général connu sous le nom de Section III.
Étrangement Whiting ne désigne jamais explicitement la Russie comme la nation Redlands dont il parle, mais il y a peu de doute (surtout que la traduction littérale serait « pays/terre rouge » en français). Il ajoute que Le Chiffre serait à l’origine de la disparition d’un scientifique atomique (détail qui curieusement ne sera jamais développé dans le reste du script).
Sur la vidéo nous voyons Le Chiffre en compagnie d’une jolie fille : « sa faiblesse, que nous espérons fatale », commente Whiting. Sur une autre vidéo Le Chiffre sort d’une bijouterie avec un bracelet en diamants :
– Lucky : Je vous devance, les gars. Il prend sur les fonds de la compagnie. Ce canon lui a mis la main dessus, et Redland paye la note. Seulement Redland l’ignore, pour le moment.
Whiting explique à Lucky que c’est effectivement le cas. Il a envoyé un de ses agents à la rencontre du Chiffre, pour dire à ce dernier qu’ils sont au courant qu’il se sert dans la caisse de son employeur. Les Britanniques ne le dénonceront pas si celui-ci leur apporte la liste des tous les agents Redland à qui il verse de l’argent.
« On était sûrs de l’avoir… Puis quelque chose de totalement inattendu est arrivé », continue Whiting. En effet Le Chiffre a décidé de regagner tout l’argent qu’il avait détourné à son employeur lors de soirées poker au Casino Royale, ce qui rendrait le chantage des Britanniques caduque. À la vitesse à laquelle il gagne, il est estimé qu’il aura tout récupéré d’ici 10 jours.
L’idée serait donc d’envoyer Lucky au casino pour qu’il joue contre Le Chiffre et le faire perdre, afin qu’il se retrouve dos au mur et accepte l’asile des Britanniques en échange des noms des agents Redland. Il n’est jamais vraiment expliqué pourquoi ils ont spécifiquement besoin de Lucky pour ça, juste est-il mentionné que Lucky est un très bon joueur de poker et que le fait qu’il soit un Américain fortuné fait une bonne couverture.
Notre M. Chanceux si l’ont peut dire (après tout « lucky » et « fortunato » sont deux mots qui désigne la chance en langue étrangère) téléphone à Dixie Dean (qui se trouve dans un radeau en caoutchouc dans une piscine) pour lui annoncer qu’il part quelques jours en France. Brown et Whiting remettent des papiers et un billet d’avion à Lucky et celui-ci demande s’il devrait emporter une arme :
– Brown : Voyagez-vous habituellement avec un pistolet ?
– Lucky : Bien sûr que non. Vous me prenez pour qui ?
– Brown : Alors pas d’arme, Lucky.
La couverture de Lucky sera un voyage un France au sujet de l’acquisition des Folies Bergères. Il y aura d’autres agents sur place (dont un certain « 03 »), mais leurs identités ne seront pas communiquées à Lucky. Brown remet de l’argent à Lucky pour qu’il puisse jouer, mais Lucky le refuse, disant qu’il utilisera plutôt son propre argent :
– Brown : Vous êtes sûr que vous n’en voulez pas ? C’est offert par la maison, vous savez.
– Lucky : Ouais ? Quelle maison ?
– Brown : La Maison-Blanche.
[…]
– Lucky : Ne me tentez pas. Si je gagne avec votre fric, je devrais tout redonner. Tandis que si je gagne avec le mien, je garde [le tout].
L’avion de Lucky atterrie à l’aéroport de Paris-Orly (le script demande à utiliser du stock-shot, chose aussi demandée pour d’autres plans tout au long du script). Là Lucky est soudain assailli de journaliste qui veulent en savoir plus sur sa relation avec la starlette Dixie. Après avoir répondu à quelques questions, direction Deauville dans une limousine avec chauffeur.
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Arrivé à l’hôtel Splendide, Lucky croise Le Chiffre et sa petite amie qui sont en train d’en sortir.
Lucky va piquer un bref somme. Il se réveille à minuit et va au casino, toujours avec son habituel cigare à la bouche (en effet Lucky doit bien avoir un cigare dans la bouche dans 90% de ses scènes du script !).
Notre héros va pour jouer mais on lui indique que dans ce casino français il doit présenter son passeport avant d’être autorisé à jouer (or il l’a laissé à son hôtel). Lucky est très surpris et indigné par cette pratique, il commence à agresser verbalement l’employé qui ne fait que son travail lorsqu’un certain anglais nommé Henderson vient les rejoindre et dit se porter garant de lui. Lucky est finalement autorisé à jouer et Henderson s’en va car il a des choses à faire.
Lucky déambule alors dans le casino, regardant des jeux qu’il ne comprend pas, croise une « poule-de-luxe », et arrive finalement à la table de poker :
Le jeu est dirigé par des croupiers, un Chef-De-Partie surveillant attentivement depuis sa chaise haute au bout. Une foule de spectateurs silencieux est derrière une rampe de cuivre encerclée. Il y a six joueurs. L’un d’eux est Le Chiffre. À côté de lui se trouve Suzi, la seule non-joueuse assise à la table.
Le Chiffre est en train de gagner, sa petite-amie Suzi coupe les cartes pour lui (elle touche aussi ses cartes non retournées, une sorte de rituel porte bonheur entre eux semble-t-il). Lucky attire l’attention en parlant fort, Le Chiffre et Suzi se souviennent de Lucky comme un homme qu’ils ont vu dans le journal, « le parieur/joueur… Celui qui va se marier avec une star de films ». Lorsque la femme contre qui Le Chiffre joue perd, Lucky semble dire que celle-ci ne devrait pas être autorisée à sortir sans un chaperon.
Lucky décide de se rendre au bar et commande… Un verre de lait. Le serveur est très étonné, « ne me dites pas qu’il n’y a pas de vache dans ce pays, l’ami. En sortant de l’aéroport, une a traversé devant mon taxi ». Lucky parle brièvement avec une michetonneuse attablée au bar puis part à une table de roulette où il a vu Suzi s’installer seule.
– Lucky (au croupier) : Quoi que joue la dame, placer [ma mise] sur l’opposé. Mise maximum.
La réaction de Suzi est de ne montrer aucune réaction. Elle mise :
– Lucky : Je m’appelle Lucky.
– Suzi (qui s’ennuie) : Je sais. Vous êtes seul ce soir. Le confort de la ravissante Dixie Dean vous manque. Tout est à vendre et vous êtes un homme avec de l’argent. Que voulez-vous acheter chez moi ?
– Lucky : Eh bien, on pourrait commencer par votre ensemble d’encyclopédies. Vous êtes pleine de connaissances.
Ils parlent un peu et sont rejoints par Le Chiffre ; ils se serrent la main :
– Le Chiffre : [Je vois que] vous avez rencontré la señorita Pascale ?
– Lucky : Oui, nous lisons les mêmes journaux.
[…]
– Le Chiffre : Je crois que quelqu’un a mentionné… Que vous êtes un grand joueur. Si vous aimez les courses… J’ai une loge. Plutôt bonne. Voudriez-vous nous rejoindre demain après-midi ? […] J’aurai l’occasion de, pouvons dire, étudiez mon adversaire.
(Oui, étrangement Le Chiffre et d’autres gens ont l’habitude d’appeler tout le monde señor/señorita alors que l’on est en France, tandis que Lucky surnomme Suzi « duchesse » alors qu’elle n’en est pas une).
Lucky accepte et direction le Portugal, à un hippodrome à Lisbonne. Ils parient sur des chevaux, Lucky raconte une anecdote comme quoi un jour il avait parié avec quelqu’un qu’il y aurait trois chevaux gris dans une course.
– Suzi : Bien [que vous ayez gagné].
– Lucky : Pas si bien. Deux d’entre eux sont devenus marron.
– Suzi : Quoi ?
– Lucky : Il a plu.
Je profite de cette scène pour mettre en exemple montrant comment Lucky parle en langue originale (contrastant avec le langage plus raffiné et britannique d’un James Bond) :
– Lucky : Get these bangtails. They run the wrong way.
– Suzi : They run the other way round in America?
– Lucky : Yeah. And that grass track you got here… Put some of my nags on a grass track, they’d sit down in the stretch and eat supper! But who cares. If the joint’s making dough, I’ll buy in.
Pendant que Le Chiffre va placer les mises, Lucky fait comprendre à Suzi qu’elle serait mieux avec lui qu’avec Le Chiffre. (Une bonne partie des scènes entre eux dans de ce script peut se résumer à quelque chose comme Lucky disant “J’ai beaucoup d’argent, si tu quittes Le Chiffre pour moi je promets que je t’entretiendrais au moins aussi bien qu’il ne le fait” et Suzi restant ambiguë au sujet de si elle est intéressée ou non). Le cheval sur lequel Lucky et Suzi ont parié gagne.
Après cet interlude au Portugal, retour à Deauville. À l’hôtel Splendide, Le Chiffre dit à Suzi ce qu’il pense de Lucky : « Il pourrait être une menace qui doit être éliminée. Ou il pourrait être un cadeau du ciel, chérie… Il a tout l’argent dont j’ai besoin. Si seulement je peux le gagner ».
Un peu plus tard, Lucky s’installe près de Suzi sur la plage de Deauville, avec une bouteille de champagne. Il lui demande cash si elle est avec le Chiffre par amour ou par argent. Elle lui rétorque que pour lui la vie doit être facile, étant riche et américain. Elle est une immigrée hongroise. Apparemment vexée (?), elle s’en va et Lucky la regarde partir en se disant à lui-même « je suis content que ce ne soit pas de l’amour. De l’argent, ça je peux gérer ».
Le soir, Lucky rejoint le Casino Royale et la table de poker de Le Chiffre. Celui-ci introduit Lucky aux autres joueurs : Van der Meersch (un néerlandais), Ali Alrodi Pasha (un Égyptien obèse), Agnelli (une femme) et Jacques-Marie Goulet (un français). Ils misent, Lucky disant à Suzi que « c’est seulement de l’argent, j’ai de l’argent à claquer » lorsqu’il est en mauvaise posture. Puis soudain Lucky sort une paire de boucles d’oreille en émeraude de sa poche et dit qu’il va faire un petit pari annexe contre Suzi : si elle gagne elle peut les avoir. Elle gagne, « Le Chiffre paraît soudain très froid. Le jeu s’est arrêté net alors que ce petit drame se déroulait. Même le croupier semble avoir oublié de distribuer ».
La partie reprend et Lucky perd 2 millions de francs contre Le Chiffre en une seule manche. « Je réessayerais demain », dit Lucky en quittant la table.
Plus tard dans la soirée, Le Chiffre et Suzi quittent le casino. Dans la voiture qui les ramène à l’hôtel, elle se blottit contre lui et lui demande combien il a besoin de gagner au total. 20 millions, répond Le Chiffre. Elle prend les boucles d’oreille de Lucky et demande si ça aiderait si elle les vend.
Lucky regarde depuis son balcon la voiture de Le Chiffre se garer devant l’hôtel. Il décide alors de prendre la corde de secours de sa chambre (celle utilisée pour quitter le bâtiment en cas incendie), de l’attacher à sa fenêtre et de descendre en rappel jusqu’au balcon situé dessous : celui de la chambre de Suzi. Lucky est en mesure d’apercevoir Le Chiffre enfiler les boucles d’oreille à Suzi et l’embrasser, avant de partir. L’expression de Lucky est amère, il ouvre la porte du balcon mais Suzi entend cela et se pointe devant lui avec un pistolet à la main.
– Suzi : Vous avez de la chance que les lumières soient allumées, M’tsieu Lucky. Vous pourriez être mort sinon. Est-ce que vous venez souvent [chez les gens] de cette manière particulière ?
Lucky sort une boite dans laquelle se trouve une bague avec un diamant, en disant : « quand je demande à quelqu’un de quitter une belle cage [dorée] bien chaude et venir à mes côtés, eh bien, appelez cela un gage de bonne foi. Un acompte ». Elle semble plutôt impressionnée par la bague.
– Lucky : Le poker est un jeu amusant, Duchesse. 50% de cartes et 50% de psychologie. Si les enjeux sont suffisamment élevés, environ 90% de psychologie. Si votre ami pensait que son porte-bonheur aimant était avec un autre gars, cela pourrait avoir un effet vraiment intéressant sur son jeu. Soudainement vous n’êtes plus assise à côté de lui pour couper ses cartes et tout. […].
– Suzi : Vous pensez vraiment que couper ses cartes lui apporte de la chance ?
– Lucky : Je suis un joueur qui se fie strictement aux résultats, bébé. Vous avez coupé, il a eu de la chance.
Lucky ajoute que c’est aussi la chance pour elle d’avoir un ticket pour les États-Unis si elle veut s’y installer.
– Suzi : Combien ça vous a coûté [la bague] ?
– Lucky : Ce n’est pas quelque chose que les gentilles filles demandent, Duchesse.
– Suzi : Les gentilles filles ne reçoivent pas non plus de diamants offerts par des étrangers, M’sieu. Vous êtes très particulier, M’sieu. Pour battre M’sieu Le Chiffre à la table de poker, vous êtes prêt à payer dix fois ce que vous pourriez espérer gagner en le battant.
Suzi dit à Lucky qu’il lui a donné matière à réfléchir et que « ça doit être bien, très bien M’sieu Lucky, d’être sûr que votre argent puisse vous acheter tout ce que, et qui, vous voulez ». Lucky s’en va, lui disant qu’il l’amènera faire une virée demain.
Ledit lendemain, Lucky se gare devant l’hôtel dans un vieux roadster Peugeot, décrit comme une antiquité cabossée ayant sans doute fait la guerre de 14-18. Lucky explique que sa Rolls Royce avait un pneu à plat et Suzi monte dans la Peugeot.
Suzi devine que Lucky a réfléchi depuis hier, il veut moins afficher sa fortune aujourd’hui et lui paraître sous le jour d’un gars ordinaire. Lucky manque de peu d’emboutir une charrette à foin en regardant Suzi à ses côtés.
Ils passent devant une église très pittoresque et Suzi demande à Lucky de s’y arrêter. « L’expression sur le visage de Lucky doit être qu’il s’attendait à tout de la part de cette cette fille, mais qu’au beau milieu d’une belle journée, de tous les endroits possibles, c’est dans une église [qu’elle veut aller] ». Elle s’agenouille pour faire une prière et ils retournant à la voiture sans échanger un mot.
Ils s’arrentent ensuite dans un café ; les cinq prochains paragraphes ne sont pas encore achevés (ce qu’il s’y passe y est détaillé, mais les dialogues exacts ne sont pas encore couchés sur le papier). « Pour la première fois nous voyons une Suzi complètement différente, et ce qu’elle dit et comment elle le dit doit ajouter à son mystère ». (Suzi est définitivement un personnage mystérieux dans ce script : qui elle est, ses motivations, son allégeance/sentiments envers Lucky ou Le Chiffre, ou encore ce qu’elle pense de ce qui se passe/dit autour d’elle sont flous).
Suzi évoque le fait qu’elle est croyante depuis son enfance, que c’est quelque chose que sa mère lui a enseigné. Lucky répond quant à lui qu’il n’a jamais été croyant et que son mode de vie est peu compatible avec la religion. Elle lui rétorque que « St. Augustine » était une sorte de gangster avant de devenir un Saint.
Ils retournent à l’hôtel Splendide et Lucky demande à Suzi si elle va toujours couper les cartes pour Le Chiffre ; elle répond qu’elle pense que oui. Un couple de touristes allemands avec leurs enfants, (les Raufenstein), veulent prendre une photo de la Peugeot.
Un voiturier demande à Lucky s’il doit s’occuper de sa « machine », Lucky lui répond qu’il peut garder la voiture pour lui, ce sera son pourboire (à noter que Lucky est un homme toujours généreux côté pourboire dans l’ensemble du script). Il balance les clés au voiturier surpris.
Nous retrouvons Le Chiffre et Lucky le soir à la table de poker ; Suzi n’est pas là.
– Lucky : Qu’est-il arrivé à votre patte de lapin ? Un soudain de maux de tête ?
Lucky et Le Chiffre jouent plusieurs heures aux cartes et finalement nos deux personnages arrivent à se disputer une main à 15 millions de francs. Lucky la remporte mais Le Chiffre a encore de l’argent à jouer et le pot de prochaine mise augmente vite ; Le Chiffre dit qu’il parierait 20 millions sur cette manche s’il les avait sur la table. Le chef de partie rappelle que la règle est de parier uniquement ce qu’il y a sur la table mais Lucky dit qu’il est d’accord avec la proposition de Le Chiffre et le casino accepte d’apporter l’argent à Le Chiffre.
Les spectateurs qui se sont rassemblés autour de la table sont époustouflés par tout l’argent qui est en jeu. Un homme nommé « Mathis » par le script est présent parmi les spectateurs.
Les cartes sont retournées : Lucky gagne. Le Chiffre s’en va, ses yeux pleins de haine et furie, et lâche un « je reviendrais ». Des spectatrices demandent désormais à Lucky des choses comme « donnez-moi un numéro pour la roulette » ou « laissez-moi vous embrasser pour la chance ».
Malheureusement, il me manque ici une vingtaine de pages dont j’ignore le contenu. Peut-être contenaient-elles le dénommé Mathis ? (Car en dehors de la scène précédente au casino où il apparaît comme un simple spectateur, il n’est pas présent du reste de ce que j’ai du script : aucune idée de qui est ce personnage).
Le reste du script reprend dans le salon d’un bâtiment (vraisemblablement dans le sud de la France) avec Le Chiffre et Suzi qui est « détachée, plus bâillonnée et qui fume une cigarette nerveusement » :
– Suzi : Qu’est ce que tu vas lui faire ?
– Le Chiffre : Cela t’importe ?
– Suzi : C’est moi qui aie fait en sorte de l’amener ici, chérie. J’aimerais savoir…
La question reste sans réponse alors qu’un homme de Le Chiffre, nommé Mikhail, le rejoint. Le Chiffre lui ordonne d’attacher de nouveau Suzi. Elle demande si cela est bien nécessaire, Le Chiffre lui répond que « Tout doit être parfait, chérie. Parfait ». Un bruit se fait entendre, Le Chiffre va à la fenêtre et voit un hélicoptère de la marine américaine (piloté par Henderson) ; il ne fait que passer.
– Suzi : Qu’est-ce que c’était ?
– Le Chiffre : Un simple hélicoptère d’un des navires de guerre Américain. Je suppose qu’ils ont trouvé le taxi. Ce n’est pas important.
– Suzi : Ils nous cherchent !
– Le Chiffre : N’aie pas peur, mignonne. Ils ne nous trouveront pas. Pas avant d’avoir réussi le coup qui rachètera tous nos péchés !
Le Chiffre se rend au cellier où se trouve Lucky Fortunato, ligoté :
– Lucky : Moi ? Une sorte d’agent secret ? Je ne sais pas qui écrit vos dialogues, mon pote, mais vous avez besoin de nouveaux écrivains !
– Le Chiffre : Vous niez ?
Le Chiffre dit qu’il le sait déjà, « je vous suggère d’être raisonnable, comme votre jolie amie dans la pièce à côté ». Mikhail fait entrer Suzi :
– Le Chiffre : Êtes-vous une agent du service de renseignement britannique ?
– Suzi : Je le suis.
– Le Chiffre : Quel est votre nom de code ?
– Suzi : Moonlight [Clair de lune].
– Le Chiffre : Cet homme a-t-il été envoyé pour me détruire ?
– Suzi : Oui.
Lucky est abasourdi et dit à Le Chiffre que la fille aussi a dû « fumer du haschich ». Mikhail la sort de la pièce.
– Le Chiffre : Peut-être que cela nous fera gagner du temps si j’explique mes projets. J’ai commis des péchés, M’sieu Lucky. De graves péchés. Mais mes employeurs sont des hommes raisonnables. Contrairement à ce que vous avez lu, ce ne sont pas des fanatiques. Ils seront plus que prêts à me pardonner… Si j’accomplis une pénitence tout à fait extraordinaire. Comme leur livrer le grand et célèbre Lucky, accompagné de sa confession signée selon laquelle il est un agent secret américain.
Le Chiffre sort un papier et demande à Lucky de le signer, après quoi ils partiront pour Belgrade. Lucky lui répond qu’il ne signera jamais et que Le Chiffre ferait mieux de disparaitre avant que « SMERSH » ne lui mette la main dessus. La mention à SMERSH perturbe Le Chiffre qui met alors un de coup de pied dans l’estomac de Lucky.
Le Chiffre appelle Mikhail qui sort un couteau et découpe le bas de la chaise de Lucky tandis que Le Chiffre prend une tapette à tapis sur le mur. Lucky est déshabillé et un phonographe joue « inappropriément » la waltz de l’acte 1 de Le Lac des Cygnes.
Une indication scénique indique que durant la scène qui suit « nous alternons entre des gros plans de Lucky et Le Chiffre, assis directement face à lui, mais notons que nous ne voyons jamais Lucky sous les épaules ». Manière de filmer probablement envisagée pour s’éviter des problèmes avec la censure au cinéma.
Similairement au roman, Le Chiffre bat donc les testicules de Lucky avec la tapette et nous avons des dialogues du style :
– Le Chiffre : Signez le papier !
– Lucky : Bébé, tu es idiot ou quoi ?
– Le Chiffre : Cela va continuer, M’sieu Lucky. Cela continuera jusqu’à ce que vous signiez La confession.
– Lucky : Tu veux parier, bébé ?
Lucky finit par perdre connaissance. Le Chiffre rejoint Suzi :
– Suzi : Tu es en train de le tuer !
– Le Chiffre : Seulement son immortalité.
– Suzi : Je te déteste, chéri.
– Le Chiffre : Non, chérie. C’est toi-même que tu détestes.
Le Chiffre met soudainement ses bras autour de la taille de Suzi toujours attachée et l’embrasse.
– Le Chiffre : Est-ce que tu m’aimes?
– Suzi : Oui, chéri !
– Le Chiffre : Montre-moi, chérie.
Elle l’embrasse « sauvagement » et « respire fort quand c’est fini ». Mikhail jette un seau d’eau sur Lucky pour qu’il reprenne connaissance et Le Chiffre et Suzi le rejoigne.
– Le Chiffre : Elle va être déshabillée. Elle sera attachée sur cette chaise. Je la divertirai, comme il se doit, M’sieu Lucky ; jusqu’à ce que vous apposiez votre signature sur cet aveu !
Lucky change alors d’avis et se dit prêt à signer. Il y a un changement chez Suzi :
– Suzi : Il bluffe, Lucky ! Ne signe pas ! Il ne me torturera pas ! Il m’aime ! Il pense que je suis de son côté ! Salaud ! Cochon ! Sale crapule ! Penses-tu que tu peux me torturer moi que tu ne l’as déjà fait ?!
– Le Chiffre : Pourquoi Moonlight…
Soudain une porte s’ouvre et le couple de touristes allemands du Splendide, les Raufenstein, débarquent armes à la main dans la pièce, accompagnée de leurs nombreux enfants :
– M. Raufenstein : Smyert Shpionam ! Plaidez-vous coupable de détournement de fonds de l’état ?
– Le Chiffre : Non… Oui… Mais si vous…
Il me manque malheureusement une autre page du script et sur celle qui suit Herr Raufenstein prend un couteau et fait avec une marque sur la main de Lucky, similairement à ce qu’il se passe dans le roman.
Après que Herr Raufenstein soit partie avec sa femme et ses enfants, laissant Lucky et Suzi en vie, elle va détacher Lucky. Suzi dit qu’il faut aller à chambre de Le Chiffre l’« hôtel Negresco » y récupérer des documents, avant que les Raufenstein ne le fassent. Lucky passe un coup de téléphone :
– Lucky : C’est ça, le Negresco. Transmettez à Henderson. Et je vais vous donner un conseil… Si vous voyez des boys scouts de Leipzig, vous feriez mieux de les voir avant qu’ils ne vous voient. S’ils s’approchent à moins de cinquante mètres, utilisez un lance-flammes…
Lucky redescend au cellier et regarde « les restes hideusement éclaboussés de sang Le Chiffre et Mikhail ». Il place une bâche sur les corps et rejoint Suzi qui est assise, « regardant fixement devant », buvant un verre. Lucky lui dit qu’il est temps de sortir de là, elle se place dans ses bras :
– Suzi : Oh, Lucky ! Je t’aime ! Si seulement toi et moi étions nés dans le même monde !
– Lucky : N’est-ce pas déjà le cas ?
[…]
– Suzi : Retourne dans ton propre monde, mon chéri ! Retournes-y et sois heureux que ce soit le tien ! […] Il disait la vérité. Je suis une agent Redland. […] Je ne voulais pas travailler pour eux, mon chéri, mais ça ne compte pas. Il y a des gens que j’ai laissés derrière moi. J’étais si enfantine, penser pouvoir leur échapper. Il leur a fallu presque deux jours entiers pour me trouver.
– Lucky : Qui sais cela ?
– Suzi : Tout le monde le saura bientôt. Quand ils vont trouver les papiers dans la chambre de Le Chiffre. Mon nom est dedans, avec celui de tous ses autres agents.
Lucky lui dit qu’il faut vite partir, il va l’amener aux États-Unis, à Las Vegas. Suzi répond toutefois qu’elle n’en peu plus, elle est trop fatiguée. Lucky prend sa main pour l’amener à l’aéroport et constate que celle-ci est froide. Soudain il comprend que le verre de Suzi ne contenait pas de l’eau :
– Lucky : Qu’est ce que c’est ?
– Suzi : Je ne connais pas le nom. Quelque chose que Le Chiffre portait toujours [sur lui] dans une petite flasque… Il disait que si vous le buviez, vous devenez progressivement froid jusqu’à ce que…
« Lucky la relève, l’attrape dans une prise pour bloquer sa tête, essaie d’enfoncer ses doigts dans sa gorge [pour la faire vomir]. Elle mord, donne des coups de pied, combat pour éloigner sa tête de lui ». Elle lui dit qu’il est déjà trop tard, ils remontent jusqu’au salon, il arrache un rideau pour servir de couverture à Suzi et ils sortent dehors, « Ne t’endors pas, bébé !! Tu m’entends ? Continue à marcher !! ». Il l’amène à un taxi et demande au chauffeur de les conduire à l’hôpital.
L’hôpital le plus proche est à Monte-Carlo, « Je parie sur toi, c’est pour ça que tu vas y arriver [t’en sortir] ! Je suis Lucky, je ne perds jamais ! ». Toutefois les rues sont bloquées par les festivités du carnaval, il y a des gens en costumes et des feux d’artifice. « Les cris désespérés de Lucky se perdent dans le refrain d’une chanson folklorique française entraînante » (Chevaliers de la table ronde, dont les paroles comportent « Quand je meurs, je veux qu’on m’enterre, dans une cave où le vin est bon »).
Lucky la fait descendre du taxi ; Suzi a désormais les yeux fermés et des passants la comparent à La Belle au bois dormant. Elle est de toute évidence morte, il la pose près de fleurs. Les passants qui ignorent qu’elle est morte demandent un discourt au « Prince charmant » :
– Lucky : D’accord, je vais donner un discours !
[…] « Il donne un coup de poing dans la paume de sa main. On dirait qu’il est sur le point de dénoncer le monde entier. Mais alors quelque chose l’envahit, comme s’il se souvenait soudain de qui il est. Son visage se transforme en une parodie de sourire ».
– Lucky : Croyez-en le prince charmant, mes amis, mes copains : même si vous êtes Lucky, vous ne pouvez pas toutes les avoir.
Une acclamation s’élève des fêtards qui reprennent leur chant. Des feux d’artifice explosent dans le ciel de Monte-Carlo. Le char et le cortège continuent leur procession, FIN.
(Une tournure plutôt intéressante de la fin du roman qui se termine avec Bond qui redevient en quelque sorte lui-même en rapportant à Londres que « la garce est morte »).
Quelques pages de plus
Également en possession une trentaine d’autres pages écrites pour il semble des versions antérieures ou postérieures à ce script du 20 avril 1957.
Dans un premier groupe de page Lucky et Suzi semblent être dans la villa de cette dernière, située au Portugal. « Je ne suis pas stupide. Je sais à quoi je ressemble, et que ne durera pas éternellement. Mais pendant que c’est le cas, je compte vivre aussi bien que je peux », lui dit-elle. Elle ajoute que cette villa lui coûte beaucoup d’argent :
– Lucky : Saint Joseph. J’ai tenu un rade pourri à Chicago pour moins [de dépenses] que ça ! En comptant un capitaine de commissariat, deux lieutenants et quatre flics de terrain !
Elle lui fait visiter la villa, ils discutent et ont un désaccord mais la scène se termine avec Lucky lui disant qu’il passera la chercher demain matin à 9h00.
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Un second groupe de pages semble être la suite du précédent et une version alternative des scènes avec la Peugeot du script. Au volant d’un vieux taxi converti au gazogène, se gare devant la villa de Suzi.
– Suzi : Qu’est-ce que c’est que ça ?
– Lucky : Un taxi, le gars a dit. Je l’ai acheté.
Suzi va ouvrir la porte pour monter dans cette antiquité mais elle lui reste entre les mains. Suzi marche sur la porte tombée par terre et monte à côté de Lucky, pas un mot est dit. Ils roulent de long des côtes du Portugal.
[…]
– Suzi : Quand vous avez chuchoté cela à Dixie Dean, l’avez-vous aussi appelée « Duchesse » ?
– Lucky : Est-ce que vous plaisantez ?! J’ai connu une cinquantaine dames comme Dixie, et la plus jolie n’était même pas dans des films ! […] Une vache, une table de dés et une blonde au dépourvu, tel a toujours été mon projet de vie.
Lucky se demande pourquoi toutes les femmes semblent habillées en noir, « deuil », répond Suzi en expliquant que toute famille perd au moins un de ses membres à cause de la mer tôt ou tard. Sur le bord de mer, Lucky embrasse Suzi en espérant lui montrer ainsi la sincérité de ses sentiments : elle retourne alors à la voiture sans rien dire.
Lucky voit un gamin près de lui et lui demande s’il sait conduire puis lui file un billet. Le gosse s’installe au volant du taxi tandis que Lucky rejoint Suzi sur la banquette arrière.
Suzi est raccompagné chez elle, Lucky lui donne rendez-vous au casino à 21h00 et dit au gamin qu’il peut garder le taxi.
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Un troisième et quatrième ensembles de pages nous laissent entrevoir ce que pouvaient contenir les vingt pages manquantes du précédent script ; entre le moment où Le Chiffre perd au Casino et celui où il torture Lucky.
Le Chiffre se trouve au bar du casino, en train d’écumer un autre verre de brandy. Un certain Szkorny l’approche et lui propose une cigarette : le visage de Le Chiffre change lorsqu’il voit l’emblème représentant une faucille et un marteau dans l’étui à cigarettes de Szkorny. L’homme lui donne rendez-vous à la fontaine puis part.
Suzi rejoint Le Chiffre au bar et semble essayer le consoler en lui disant que la vie vaut toujours la peine d’être vécue malgré sa défaite au poker. Elle retire ses bijoux offerts par Lucky et Le Chiffre et les lui donne : « Ça pourrait aider. N’abandonne pas ».
Le Chiffre part et Suzi croise ensuite Lucky, « Je t’avais dit que je le tuerais, Suzi ». Lucky quitte le casino pour rejoindre l’hôtel et Suzi voit dans les jardins du casino Le Chiffre parler à Szkorny :
– Szkorny : Vous avez exactement 24h00 pour restituer l’argent que vous avez volé à la République Démocratique Populaire. Pas une seconde de plus.
– Le Chiffre : Douze me seront suffisantes.
« Si vous avez du mal à obtenir de l’argent, vous trouverez cela vous sera utile… », dit Szkorny en remettant du poison à Le Chiffre. « Je sais. Je ne devrais pas, vraiment. Mais cela nous évitera bien des désagréments [à tous les deux] ».
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Suzi retourne à sa chambre d’hôtel et décroche un téléphone en train de sonner. « Une expression terrible traverse son visage lorsqu’elle entend la voix à l’autre bout du fil ». Il s’agit Le Chiffre qui lui dit « Tu as bien joué ton rôle, Suzie. Ne surjoue pas de trop ». Le Chiffre lui dit qu’elle devra suivre ses instructions, Suzi le supplie que non mais il insiste.
Un peu plus tard un garçon de chambre vient apporter un message à Lucky. Il lit la lettre : Suzi lui donne rendez-vous. Après avoir vérifié qu’il s’agit bien de l’écriture de cette dernière, Lucky sort de l’hôtel (apparemment situé à Lisbonne) et monte dans un taxi avec chauffeur et lui donne l’adresse du rendez-vous.
Dans les rues de Lisbonne de nuit, le chauffeur arrive au niveau d’une camionnette (« panel truck ») bloquant la chaussée, visiblement en panne ou en train d’être déchargée :
– Lucky : Quel est le problème ? Combien de temps vous faudra-t-il pour l’écarter hors du chemin ?
– Le Chiffre (sortant de l’ombre) : Pas longtemps, M’sieu Lucky. Pas longtemps.
Un Mauser à la main, Le Chiffre ouvre l’arrière du camion dans lequel Lucky voit Suzi attachée et bâillonnée. Lucky essaye de courir pour s’enfuir mais les hommes de Le Chiffre (qui incluent le chauffeur de taxi) assomment Lucky d’un coup de crosse.
Voir aussi : 1964 : Quand Ben Hecht écrivait des scripts de Casino Royale
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