Le roman Silverfin est sorti au Royaume-Uni le 5 mars 2005, quelques mois avant l’officialisation du choix de Craig pour le rôle de Bond.
Dans le monde de l’édition, nous sommes alors en plein raz-de-marrée de la saga Harry Potter. Véritable phénomène culturel et qui va complètement redéfinir la place qu’occupera la littérature dite « Young adult » (comprendre romans pour adolescents) dans les années à venir.
C’est très certainement en réaction à ce succès démentiel, que les ayants droits de Ian Fleming ont commandé une série de livres sur la jeunesse de James Bond.
Après avoir rencontré plusieurs auteurs, le choix se porte sur Charlie Higson. Né en 1953 dans le comté de Somerset, Higson est un auteur touche-à-tout, ayant autant œuvré à la télévision qu’en littérature.
L’objectif avoué de Higson pour ce roman est de montrer comment la destruction de l’innocence d’un enfant va progressivement l’emmener à devenir un tueur.
Débutant au célèbre collège Eton, où est passé un certain Ian Fleming, « Silverfin » nous présente un James Bond âgé d’environ 13 ans. Cette partie au collège est celle qui semble la plus directement inspirée par la saga Harry Potter.
Enfant taiseux, observateur et doué pour le sport, James se fait rapidement quelques amis… mais également de remarquables ennemis. Notamment George Hellebore, fils du richissime et inquiétant lord Randolph Hellebore. Ce dernier possède un château gigantesque et mystérieux en Écosse, au bord du lac Silverfin.
Le roman fut adapté plus tard en BD.
Relativement long pour un roman jeunesse, le livre va ensuite nous faire vivre la visite de James à sa tante Chairman en Écosse. Cette dernière accueille également son frère Max atteint d’un cancer.
Ces scènes sont l’occasion de nous présenter la construction philosophique du jeune James Bond. On pourrait reprocher à Higson de trop condenser les événements marquants de la vie du futur espion dans un court laps de temps. Sa passion pour les voitures, son aversion pour le thé, son intérêt pour la gente féminine et pour la cuisine du monde. Tout est présenté dès ce premier roman.
Cela étant, cette partie plus posée du récit, permet de nous attacher plus fortement à notre héro et à son maigre entourage. Il faut notamment souligner les scènes de dialogues entre Bond et Max, touchantes et permettant de mieux cerner la construction psychologique du futur 007.
Évidement, le château de Silverfin sera la théâtre d’événements funèbres qui lanceront le jeune espion dans une première aventure plus sombre et plus violente que ce à quoi on aurait pu s’attendre d’un livre pour enfants.
Ce qui frappe à la lecture de « Silverfin » c’est la profonde compréhension que semble avoir Charlie Higson de l’univers de la saga James Bond en littérature.
Bien que plus doux et sensible que sa version adulte, le jeune James Bond est déjà un être intelligent, résistant et curieux mais également capable d’une extrême froideur.
La construction du roman évoque également plusieurs éléments des livres de Fleming : un aspect pulp et fantasy à la « James Bond contre Dr. No ». Le dévoilement rapide de l’antagoniste afin que la cible de Bond soit identifiée dès le début du récit ; une séquence où le héro va d’abord détruire mentalement son Némésis au cours d’un jeu ; une proto James Bond Girl et des alliés inattendus.
L’autre aspect que Higson a bien compris des romans de Fleming c’est leur profonde mélancolie.
« Silverfin » est, en effet, un roman assez sombre dans lequel James Bond se révèle être un enfant marqué par le deuil et un sentiment de solitude tenace.
Il est surprenant de constater que, alors que seront publiés le putassier « Le diable l’emporte » de Sebastian Faulk ou encore le dynamique mais creux « Carte Blanche » de Jeffery Deaver, la meilleure proposition littéraire de l’univers de James Bond soit cette série de roman jeunesse.
Charlie Higson a visiblement réussi à transcender une commande, sans doute un peu opportuniste, en vrai projet artistique touchant, exaltant, parfois choquant et respectueux de la saga Bond.
Paul Darbot
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