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Vivre et laisser mourir : la critique du comics (2019)

On aurait pu croire que Dynamite aurait appris de ses erreurs avec le comics Casino Royale (2018). Mais non : tout comme son prédécesseur, Vivre et laisser mourir aura vu sa date de sortie inlassablement repoussée d’une semaine (et ce chaque semaine) depuis septembre avant d’ENFIN sortir discrètement le 18 décembre dernier. Si ces reports hebdomadaires ont plus exténuer les fans, ceux-ci seront toutefois ravis que les délais ne furent pas la seule chose qui fut reprise de Casino Royale : en effet les qualités présentes de ce dernier se retrouvent fort heureusement aussi dans Vivre et laisser mourir !

Alors pour ceux qui ne se rappelleraient pas des grands points forts de la précédente adaptation Casino Royale (dont la critique se trouve toujours ici), il s’agissait du fait que la BD était extrêmement fidèle à l’œuvre originale, n’était pas radine en contenu et que quasiment l’intégralité du texte était écrit par Ian Fleming lui-même. On retrouve dans ce comics Vivre et laisser mourir la même formule gagnante : en même temps il faut dire que le script de l’adaptation est signée par la même personne : Van Jensen.

Ainsi le lecteur se retrouve avec un comics de pas moins de 184 pages dans lequel il y a pas mal de texte à lire, texte tiré mot pour mot du roman de Fleming (1954) et non de l’imagination de Van Jensen (enfin à quelques exceptions près comme on le verra plus tard dans cette critique). Une immensité de scènes et détails ont été repris et au final il ne manque pas de choses importantes ou moins importantes du roman (à part peut être une précision comme quoi Blabbermouth s’excuse auprès de Leiter pour l’avoir tabassé) : le roman n’a pas été charcuté. Après bien sûr tout le monde n’aimera pas cette immense quantité de texte à lire (sachant qu’en plus on a l’impression que cette montagne de bulles interfère avec les illustrations en les cachant ou en ne préférant pas une narration plus visuelle).

Maintenant que vous savez que l’on est à nouveau face à une adaptation des plus fidèle, il serait bon de rappeler l’intrigue du Vivre et laisser mourir littéraire (qui est somme toute différente de celle du film avec Roger Moore, malgré certaines similitudes). James Bond s’envole pour New York où il doit rencontrer son ami de la CIA Felix Leiter et des agents du FBI. Cette nouvelle mission en collaboration avec les services américains a pour objet l’enquête sur un certain Mister Big, criminel à la fois leader d’une secte vaudou mais aussi agent du SMERSH aux États-Unis. Il semblerait que cet homme ait découvert un trésor pirate en Jamaïque et qu’il l’écoulerait afin de financer des activités soviétiques. Des clubs de jazz à Harlem aux Caraïbes en passant par les Everglades, 007 devra se battre contre un adversaire puissant et fera la rencontre de la belle Solitaire, une sorte de voyante à la solde de M. Big…

La plus grosse interrogation que soulevait cette nouvelle adaptation de Vivre et laisser mourir était comment allait être traités les nombreux passages racistes du roman sachant que Van Jensen disait en interview qu’il n’était pas du tout à l’aise avec et voulait les supprimer. Maintenant que l’on a plus mettre la main sur la BD on constate que la bonne surprise est que bien qu’ils aient été altérés, le biais de Fleming reste tout de même présent. Alors n’allez pas me faire dire ce que je n’ai pas dit : bien sûr le racisme n’est pas quelque chose de bien, mais la censure non plus (pour l’auteur de cette critique les bons comme les mauvais cotés du roman doivent être montrés indifféremment et l’on ne devrait pas faire comme si ces choses n’avaient jamais existé, et ce notamment pour être le plus fidèle possible à l’œuvre d’origine).

Alors de manière concrète comment cela se présente dans la BD ? Il faut déjà savoir que le mot « negro » qui apparaît souvent dans le roman (environ 112 fois pour l’anecdote) apparaît également souvent dans le comics (exemple sur l’illustration ci-dessous). Toutefois étrangement à certains moments, bien que présent en quantité dans la BD, le mot est remplacé dans certaines bulles par « man » ou alors un « negress » est altéré en « black woman ». Après observation un schéma semble se dégager : en général les mots « negro » des bulles de dialogues entre personnages semblent conservés tandis que ceux des bulles de descriptions sont changés en « man ». De même si le comics reprend la division en chapitre du roman, il est à noter que le titre du chapitre 5 (« Nigger Heaven » dans l’œuvre original) est ici malheureusement altéré en « Seventh Avenue » (qui était le titre alternatif du chapitre utilisé dans les éditions américaines du roman avant 2002).

Si on constate que le mot « negro » a tout de même survécu, il est à noter qu’en revanche, le grand nombre de dialogues dans lesquels Fleming orthographie mal les phrases prononcées par presque tous les personnages noirs afin de donner l’impression qu’ils ont un accent ont purement et simplement tous été correctement réécrits dans la BD. À titre d’exemple pour illustrer : le dialogue « Whaddya mean yuh jes talked wit him ‘n New York? Ah jes seen his gal ‘n a Clear-water cab » du roman devient ainsi « What do you mean you just talked with him in New York? I just seen his gal in a Clearwater cab » dans la BD ; ou encore « Take da Limey up. Yuh go ‘long wid em. Da other guy stays wid me » qui devient « Take the Limey up. You go along with him. The other guy stay with me ».

En dehors du racisme, il est agréable de constater que le roman n’a pas subi d’autre censure : en effet sexisme, violence et cigarettes restent présents tout comme de la nudité puisque la BD nous offre quelques visuels de seins et de fesses (dont celles de Bond !) bienvenues.

En parlant de visuel il est temps de parler des illustrations de la BD puisque c’était aussi là où elle était attendue au tournant dans la mesure où le comics change d’illustrateurs par rapport à Casino Royale : Dennis Calero et Chris O’Halloran cédants en effet leurs places à Kewber Baal (dessins) et Schimerys Baal (couleurs).

Là où son prédécesseur avait une palette de couleurs tournant souvent autour du bleu et du violet et des tons un peu ternes/froids : Vivre et laisser mourir laisse place à la couleur ! Les couleurs sont d’avantages vives, diversifiés et réalistes, ce qui est une très bonne chose à mon sens, bien que l’ont ait certes moins l’impression d’époque/vieillot que dans Casino Royale. Dans l’ensemble les illustrations de la BD sont des très bonnes factures avec pas mal de détails, peut-être pourrait-on lui reprocher un certain manque de fantaisie dans les formes et les dispositions des cases qui restent sommes toutes assez classique du début à la fin ?

Les reproches qu’on lui fera de manière plus certaine concernent le visage de Bond : je n’arrive pas à trouver à qui il me fait penser, mais pas certainement pas à Bond (à la décharge des illustrateurs il faut dire que le coté coupe militaire imposée par le roman n’aidait pas). Un autre reproche c’est que parfois la description des bulles de texte et les illustrations se contredisent, tout en s’éloignant du roman (exemple : le texte nous dit que la combinaison de plongée de Bond est noire tandis que sur les images à côté elle est blanche, ce qui la fout mal). Le plus gros problème de ce dernier point étant que le roman et le texte de la BD insistent sur le fait que la peau de M. Big est grisâtre (à cause d’un problème au cœur) mais presque à aucun moment sur les illustrations sa couleur de peau n’a l’air ainsi ou ne serait-ce que différente de celles des autres personnages de couleurs.

Parmi les éléments très réussis on peut noter le physique de Solitaire (notamment sa chevelure), les scènes sous-marines et la violence assez explicite et bien gore. La « Bond vision » (petit texte sur l’image qui nous montre les pensées de 007 quand il analyse des choses) est toujours présente et agréable. Si on appréciera que la mort horrible du méchant est bien détaillée, on pestera un peu plus sur le passage où Bond se fait casser un doigt qui commençait bien avant de finir par se faire hors de la vue du lecteur. Mon autre regret est l’absence d’un plan montrant bien l’ascenseur de la table Z.

Tout ceci ne reste que des détails et en parlant de détails, je vous laisse apprécier la façon dont la BD a été adaptée par rapport au roman en comparant une scène à travers les deux œuvres :


Il [Leiter] était dépassé par la situation. Oubliant Solitaire, il entraîna presque Bond à travers la porte. Au dernier moment il se souvint de la fille et la saisit avec son autre main avant de la tirer elle aussi, claquant la porte avec son talon si bien que le « J’espère que vous passerez un agréable… » de Mme Stuyvesant fut guillotinée avant « séjour ».
Une fois à l’intérieur, Leiter ne pouvait toujours pas les accueillir. Il resta debout, regardant l’un et l’autre, bouche bée.
Bond laissa tomber sa valise sur le sol du petit hall d’entrée. Il y avait deux portes. Il ouvrit celle de droite et la retint pour Solitaire. C’était un petit salon qui faisait toute la largeur du cottage et donnait sur la plage et la mer. Il était agréablement meublé avec des chaises de plage en bambou tapissées de caoutchouc mousse et recouvertes d’un chintz d’hibiscus rouge et vert. Des tapis de feuilles de palmiers recouvraient le sol. Les murs étaient d’un bleu œuf de canard et au centre de chacun d’eux se trouvait une impression couleur représentant des fleurs tropicales dans un cadre en bambou. Il y avait une grande table en bambou en forme de tambour avec un dessus en verre. Elle contenait un vase de fleurs et un téléphone blanc. Il y avait de larges fenêtres faisant face à la mer et à leur droite une porte menant à la plage. Des jalousies en plastique blanc étaient à demi baissées sur les fenêtres pour atténuer les reflets du sable.
Bond et Solitaire s’assirent. Bond alluma une cigarette et jeta le paquet et son briquet sur la table.

Soudain le téléphone sonna. Leiter sorti de sa rêverie, franchis la porte et prit le combiné.
« C’est moi », dit-il. « Passez-moi le lieutenant. C’est vous, lieutenant ? Il est là. Il vient juste d’arriver. Non, en un seul morceau ». Il écouta un moment puis se tourna vers Bond. « Où as-tu quitté le Fantôme ? » demanda-t-il. Bond le lui dit. « Jacksonville », dit Leiter au téléphone. « Oui, je lui dirais. Sûr. Je vais lui demander les détails et vous rappeler. Pouvez-vous rappeler le bureau des Homicides ? J’apprécierais certainement. Et New York. Merci beaucoup, lieutenant. Orlando 9000. D’accord. Et merci encore. Au revoir ». Il a posa le combiné. Il essuya la sueur de son front et s’assit en face de Bond.
Soudain, il regarda Solitaire et sourit en s’excusant. « Je suppose que vous êtes Solitaire », dit-il. « Désolé pour l’accueil grossier. Ce fut une sacrée journée. Pour la deuxième fois en près de vingt-quatre heures environ, je ne m’attendais pas à revoir ce type. Il se retourna vers Bond. « Okay, pour continuer ? », il demanda.
« Oui », dit Bond. « Solitaire est de notre côté maintenant ».

-Chapitre 12

(J’avais choisi cette scène en particulier avant même de lire la BD donc pas de triche. On constate en comparant que beaucoup de détails sont repris mais que quelques éléments sont différents comme le fait que Leiter soit assis au lieu de debout. Les dialogues de ce passage ne sont pas forcément représentatifs de la BD : sur cette page il y a tout alors que souvent, et c’est logique, des parties de texte sont raccourcies/absentes pour raison de place et narration visuelle).

Pour conclure, ai-je vraiment besoin de préciser que la couverture de la BD réalisée par Fay Dalton est absolument sublime ? L’idée de reprendre le concept de cartes de tarot du film (alors qu’elles n’existent pas dans le roman et que les cartes de Solitaire sont très anecdotiques dans ce dernier) étant de base très bonne.

Au final Vivre et laisser mourir est le digne successeur de Casino Royale, les illustrations mettent la barre encore plus haut, le script suit parfaitement le roman et bien qu’il ait été atténué, le coté raciste du roman n’a pas été passé totalement sous silence. S’il était sorti un peu plus tôt (histoire que les premières critiques aient eu le temps de voir le jour), si les incessants délais n’avaient pas fait que l’ont croyait plus qu’il allait sortir à la date nouvellement annoncée, et si un minimum de promotion avait été assuré (je doute que beaucoup sachent qu’il est enfin sorti), cela aurait été le cadeau de Noël que tout bon fan aurait dû recevoir sous son sapin (beaucoup plus riche et intéressant que tous produits dérivés sans intérêt de la boutique officielle 007). Seul petit bémol : comme toujours aucune annonce pour une traduction française et ce alors que l’anglais de ce comics n’est pas forcément le plus abordable (et en parlant de traduction FR : sachez que Delcourt a enfin annoncé et daté celle de Casino Royale pour le 1er avril 2020).

Nos précédentes critiques de comics :

Pour aller plus loin :
Les différents comics et strips James Bond
Vivre et laisser mourir : la critique du manga de 1964

Clement Feutry

Fan passionné de l'univers littéraire, cinématographique et vidéoludique de notre agent secret préféré, Clément a traduit intégralement en français le roman The Killing Zone et vous amène vers d'autres aventures méconnues de James Bond...

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