[notification type= »notification_info »]Garanti sans spoilers.[/notification]
Avec The Body, Dynamite a voulu proposer quelque chose de différent. L’auteur de ce comics, Aleš Kot, a semble-t-il voulu « déconstruire » Bond en le mettant dans des situations originales dans lesquels on a peu l’habitude de le voir, dans des espaces confinés, une « absence » de Bond Girl, et en réduisant drastiquement le nombre de scènes d’actions.
Cette volonté de faire quelque chose de différent va même jusqu’à ce retrouver dans les illustrations, puisque étrangement, The Body ne possède pas un mais cinq dessinateurs ! En effet presque chacune des six parties est illustrée par une personne différente, et on avoue ne pas bien comprendre pourquoi d’ailleurs. Outre le fait que cela atteint à la continuité (et personnellement j’aime quand les choses sont consistantes), l’intérêt est d’autant plus limité dans la mesure où la qualité des dessins ne va pas crescendo…
Ces changements de dessinateurs s’expliquent peut-être par le fait que contrairement à d’habitude, les six parties (bien qu’elles soient au final liées entre elles) se lisent plus comme des stand-alone (indépendantes des unes des autres) que plutôt qu’une seule même et longue histoire. Du coup, cela nous oblige aussi à faire les choses différemment : soit une critique tome par tome plutôt qu’une critique du comics global.
Alors que vaut ce comics dont le scénario a été fortement taillé en pièce par les fans sur les forums, voir considérés comme une « insulte » à Bond par certains ?
Tome 1 : le corps
Illustrations : Luca Casalanguida (dessins) (Hammerhead et Kill Chain) et Valentina Pinto (couleurs).
The Body commence avec une idée de départ aussi séduisante qu’originale : après une mission où Bond devait empêcher une tentative d’assassinat lors d’une soirée mondaine, 007 doit subir un examen médical. Il se trouve que son examinateur, le Dr Vird, est tout comme le lecteur un fan des aventures de 007 : il ne peut pas s’empêcher de lui demander des détails sur la dernière qu’il a entreprise. Chaque coupure, chaque ecchymose et os cassé est relié à un moment de la mission. Une connexion est faite entre deux personnes avec des objectifs différents : une sauve des vies, l’autre les prend.
Vous l’aurez compris, le titre de comics se réfère donc au « corps » de Bond lui-même. Alors qu’à la fois le docteur applique du sarcasme et des bandages à Bond, ce dernier raconte sa mission. Celle-ci se veut simple mais efficace. Se faisant passer pour un serveur, 007 essaye de trouver l’assassin parmi la foule en observant le langage du corps de chacun et en se fiant à son intuition. Pas de Bond girl dans cette histoire, mais en revanche une bonne maîtrise du suspense.
L’une des choses intéressantes à noter est la relation entre Bond et le Dr Vird, qui joue sur l’idée que le médecin se fait de la vie d’un espion, tout en omettant la brutalité que nous voyons sur les pages. Cette première partie de The Body possède une bonne dose d’un humour qui n’est pas désagréable, le docteur n’hésitant pas à « se moquer » des scènes actions parfois larger than life qu’on trouve dans les films de James Bond, en s’imaginant que sa mission impliquait en bateau qui explose, un hélicoptère, etc… On notera aussi un twist sympathique sur l’assassin… mais qui malheureusement ne mène nulle par la suite du comics.
Coté illustration, le comics commence fort avec une première image où on voit les répercussions de la dernière mission de Bond sur son corps : image qui frappe, surtout grâce à son œil poché. Le style anguleux de Casalanguida passe très bien de sorte que les dessins de cette première partie sont jolis, avec des détails et des scènes avec de la foule qui rendent bien. Les « angles de vue » et les positions de personnages sont très souvent classes. D’un autre côté on pourrait peut-être lui reprocher un Bond un peu trop carré, musculeux ?
La scène d’action est particulièrement à saluer dans la mesure où elle est belle, fluide, dynamique, violente et nous montre comment Bond a obtenu chaque blessure. Les transitions entre le récit passé et le récit présent sont bien bien faites. Enfin la coloriste mérite aussi du crédit, elle livre pour son premier Bond de magnifiques couleurs réalistes qui contribuent fortement à rendre cette première partie du comics une réussite.
Tome 2 : le cerveau
Illustrations : Antonio Fuso (dessins) (Service) et Valentina Pinto (couleurs).
Une des plus brillantes scientifiques du Royaume-Uni spécialisées dans la guerre biologique, Mme Cleese, a décidé de remettre une nouvelle bactérie très contagieuse à une organisation terroriste inconnue. Mise aux arrêts, James Bond est chargé de l’interroger. La seconde partie de The Body commence donc avec une autre idée de départ originale puisqu’elle écarte toute scène d’action pour nous laisser, dans son intégralité, voir Bond mener un interrogatoire.
Le suspens est certain : quelle sont les motivations de la fille ? Bond peut-il la briser avant que la bactérie ne soit relâchée ? Jusqu’où est-il prêt à aller pour la faire parler ? Cleese, pour sa part, ne cache pas ce qu’elle a fait mais joue à un mind game (jeu psychologique) avec 007, essayant notamment de le faire douter de son patriotisme. Il s’agit là d’une entrée assez intéressante dans l’univers Bond : après tout ce n’est pas tous les jours qu’on le voit mener un interrogatoire dans une salle prévue à cet effet (en fait on ne l’a même vue que très rarement faire).
Le tout se termine par un twist qui s’avère assez décevant puisqu’au final il semble que le plan de notre Mme Cleese semble être un total non-sens. En effet, et bien qu’elle soit censée être l’une des personnes les plus intelligentes du pays, on voit mal en quoi son action a (et aurait pu) aidé de quelque manière à atteindre l’objectif qu’elle s’était fixée… De même, on a la désagréable sensation qu’il semble manquer un petit quelque chose à la fin, comme si on n’avait pas la conclusion de l’histoire.
Un des intérêts du format comics c’est aussi de raconter une histoire de manière graphique. Seulement, dans la mesure où l’intégralité du comics se déroule dans une salle d’interrogatoire – soit une pièce qui comme toutes celles du genre se limite à quatre murs, une table, deux chaises, une porte et un miroir sans tain – l’intérêt graphique est peut sembler assez limité… (Personnellement cela ne m’a toutefois pas gêné). Le dessinateur Antonio Fuso a essayé de faire ce qu’il pouvait avec ce manque de variété. En soi ses dessins sont agréables, avec des détails et de belles ombres (et les couleurs de Valentina Pinto sont à nouveau de très bon goût). Toutefois on se retrouve vite avec des pages chargées en panels (cases) et disposés d’une façon qui s’avère être presque toujours la même (et il ne s’agit pas là d’une disposition des plus attirantes). Plus de variété dans la disposition des cases aurait été fortement la bien venue (même si on imagine que ce choix a été motivé par une question d’espace dans la mesure il y a plein de dialogues à caser en seulement 20 pages).
De même, davantage de variété aurait aussi été la bienvenue au niveau des angles de vues (qui se limitent souvent à des gros plans de face sur les visages des personnages) puisque ce manque nous donne parfois l’impression que certains panels ont été recyclés plusieurs fois. Enfin, dans ce genre de scène d’interrogatoire, un travail sur la gestuelle des mains et les expressions du visage est important ; Fuso nous le livre partiellement (je dis partiellement dans la mesure où l’ont a pas toujours l’impression de voir de changement sur le visage de la fille dans la mesure où certains panels semblent recyclés).
Tome 3 : les boyaux
Illustrations : Rapha Lobosco (dessins) (Black Box) et Chris O’Halloran (Black Box et Casino Royale).
Pour cette troisième partie, Bond se retrouve à nouveau dans un espace confiné pendant une bonne partie de l’histoire : à savoir un saunât remplie d’une douzaine de néonazis tatoués et vêtus d’une simple serviette. L’histoire se veut très (et trop) minimaliste : Bond est là sous couverture pour acheter des armes à ce groupe. Le déroulement est assez prévisible et au final il ne se passe pas grand-chose : 007 passe la plupart de son temps à discuter et picoler avec ces néonazis qui semblent gays malgré ce qu’ils en dissent (ce qui peut sembler étrange quand on sait que les homosexuels étaient persécutés en Allemagne nazie).
Niveau dessins, Rapha Lobosco offre (à nouveau) un visage différent des premiers tomes à Bond. Les dessins sont dans l’ensemble assez réussis, il y a des détails, l’impression de mouvement est là et les personnages ont diverses expressions faciales très prononcées, voire trop (comme le chef des néonazis qui semble toujours hyper énervé, ce qui ajoute un peu d’humour dans certains dialogues où Bond se ravise). La violence au moment de la scène d’action est certaine et très sanglante (et cela faisant longtemps que l’ont avait pas vu autant de globules rouges dans un comics Bond). Une des réussites de cette partie est la variation de la forme des panels selon les pages et le fait que cette aventure offre souvent des assez grosses cases. Enfin Chris O’Halloran nous livre des couleurs qui sont parfaites (et si vous avez lu nos précédentes critiques de comics, vous savez que d’habitude je ne suis pas un grand fan de ses couleurs).
Au final cette troisième partie est bien en deçà des deux précédentes. Le fait que les méchants soient néonazis n’apporte au final pas grand-chose, le lieu est moins intéressant qu’une salle interrogatoire, et le tout n’est en fin de compte pas très captivant.
Tome 4 : le cœur
Illustrations : Eoin Marron (dessins) et Valentina Pinto (couleurs).
Un assassin est à la poursuite de 007. Sans arme, ni véhicule, et blessé en pleine campagne dans les Highlands : Bond trouve refuge dans un chalet isolé dans une forêt, habité par une femme qui a échangé son travail de médecin et de vie en ville pour la vie solitaire d’une écrivaine. À nouveau une aventure à huit clos, avec Bond habillé avec des vêtements dont on n’a pas l’habitude de le voir et attendant la venue de l’assassin avec un fusil à doubles canons : bref le tout n’est pas sans rappeler fortement la fin de Skyfall.
Une grande partie du comics consiste en une conversation entre Bond et Moira, qui semble de prime abord prendre étrangement bien le fait qu’un assassin est sans doute en route vers eux. Clairement cette femme semble vivre un mal-être à l’intérieur d’elle, toutefois l’explication de ses déboires ne s’avère pas vraiment des plus intéressantes, ce qui rend cette quatrième partie ni vraiment frappante, ni excitante. La fin, plutôt inhabituelle, est toutefois plaisante.
De son côté Eoin Marron, qui signe là son premier Bond, livre des dessins qui fonctionnent bien (malgré que l’ont soit en dessous des premières parties), avec assez de détails et des variations de formes de cases. Les couleurs de Valentina Pinto sont à nouveau des plus réussites.
Tome 5 : les poumons
Illustrations : Hayden Sherman (dessins) et Valentina Pinto (couleurs).
Pour cette cinquième partie, Bond poursuit un homme à pied sur les toits et dans les rues ; il a environ trois minutes pour le stopper avant que le contenu de son sac à dos ne fasse de lourds dégâts à Trafalgar Square. Ici les lignes de dialogues se résument à de seules introspections de Bond, pensant à lui comme un corps toujours en mouvement au service du gouvernement.
Hélas il n’y a rien d’autre à dire puisque ce tome n’est qu’une une simple poursuite, parsemée de commentaires assez ennuyants de Bond, bref rien qui n’ait un intérêt particulier. Notons toutefois que le déroulement/chorégraphie de la poursuite est potable (il y a notamment une bonne trouvaille à un moment), que c’est lié (pour une fois) à un des précédents tomes, et que la fin nous laisse malheureusement sur notre faim si on lit cette partie en tant que stand-alone…
Coté art, Hayden Sherman nous livre le tome le moins beau de The Body, avec des dessins trop bruts de décoffrage, pas assez raffinés : bref vraiment pas terribles. Reconnaissons-lui tout de même un feeling assez cinématographique avec beaucoup de vues aériennes et quelques visuels créatifs pour certains moments de la poursuite. Valentina Pinto fournit des couleurs quant à elles en dessous de ce qu’elle nous avait habitué dans les précédents tomes.
Tome 6 : l’enterrement
Illustrations : Luca Casalanguida (dessins) et Valentina Pinto (couleurs).
[notification type= »notification_info »]Quelques légers spoilers.[/notification]
Bond retrouve Felix Leiter dans un pub londonien pour parler des événements des précédents tomes. Nous avons à nouveau le droit à une ambiance confinée pour conclure The Body puisque l’intégralité de cette partie ne se déroule que dans ce pub. Enfin, nous voyons comment les précédentes parties sont connectées entre elles, même s’il ne faut vraiment pas s’attendre à un truc de ouf (« comme le monde est petit », n’ai-je plus m’empêcher de penser), ni d’intéressant.
Alors que l’intrigue semble se « résoudre » par une simple discussion autour d’un verre et d’une assiette, nous découvrons qu’il y a heureusement un peu plus que cela. Toutefois, n’est-il pas un peu décevant (bien que ce soit couillu de la part de Kot) de résoudre le tout d’une telle manière, sans avoir recours à une scène d’action ? D’autant plus que l’intrigue ne semble à la fin pas à 100% résolue, Bond et Leiter discutant d’une action dont on ignore si elle va être menée ou non dans le futur…
Une des bonnes choses que l’ont peu relever dans cette partie est l’humour entre Bond et Leiter. Les deux personnages font preuve aussi d’une certaine froideur vis-à-vis de la mort, tandis que d’un autre coté, une certaine chaleur émane lors du dialogue final.
Pour cette dernière partie, Luca Casalanguida reprend du service pour nous fournir de jolis dessins. L’une des forces des illustrations de cette partie se situe dans l’arrière-plan : on n’y voit pas seulement des gens vagues assis à des tables qui boivent. Le barman prend les commandes, des gens entrent et sortent, et des conversations se passent. On se sent comme un vrai pub, avec de l’animation, il n’y a rien de statique dans l’arrière-plan. De même, Valentina Pinto fournit de belles couleurs et guide les yeux des lecteurs là où c’est nécessaire en les attirant à l’aide de certaines touches de couleurs plus vives que la normale.
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Alors au final que vaut The Body ? Malgré de bonnes idées originales et un début très prometteur, le comics s’essouffle vite et devient même plutôt ennuyeux à certains stades. Dommage dans la mesure où certaines situations du comics auraient mérité d’être mieux exploitées. Le tout n’est pas aidé par des illustrions variables (même si souvent belles) et dont la qualité ne va pas crescendo…
Dates de sortie :
- The Body est déjà sortie en VO sous la forme de six volumes (publiés du 17 janvier au 20 juin 2018).
- Ces six volumes seront regroupés en un seul (VO) pour le 30 octobre 2018.
- Aucune traduction française n’a été annoncée.
Nos précédentes critiques de comics :
Pour aller plus loin :
– Les différents comics et strips James Bond.
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