Aujourd’hui, nous vous proposons la traduction d’une excellente chronique du magazine Rolling Stones, qui réfléchit aux failles de SPECTRE : Les derniers films de James Bond ont amené 007 dans le monde des franchises à épisodes qui se suivent… cela n’aurait-il pas détruit son héritage ?
Comment l’ère des Multivers a tué James Bond
Par David Ehrlich – publié le 9 novembre 2015 sur Rolling Stones.com
Jusqu’en 2008, la franchise James Bond ressemblait beaucoup à Un Jour Sans Fin : une bouche infinie, dont chaque tour est superficiellement différent, mais fondamentalement le même. Tout au long de 21 films indépendants, 6 acteurs dans le rôle-titre, et 46 années, le public s’est habitué à l’idée que chaque film serait moins comme le nouveau chapitre d’un roman que comme un nouveau dessin reproduisant un même modèle. Jusqu’à Memento, il n’y a eu aucun héros avec une mémoire aussi défectueuse que 007 : après que la femme de Bond ait été assassinée à la fin de Au service secret de sa Majesté, l’espion iconique était littéralement une nouvelle personne quand l’épisode suivant a débuté.
Bond a été capable de survivre à un nombre impressionnant de changement importants dans le paysage culturel grâce, en grande partie, à la recette intemporelle de la série : parcourir des destinations exotiques, tuer des sous-fifres, faire l’amour à plusieurs femmes, tout de suite les oublier quand elles sont assassinées quelques scènes plus tard, et vaincre un méchant adversaire. Quand Star Wars a changé le paysage de 1977, Bond est parti dans l’espace. Quand James Cameron a monté la barre des films d’action hollywoodiens musclés au début des années 1990, Bond s’est réinventé comme une star de l’action grand spectacle avec un nouveau don pour les explosions de masse. Quand les films de Bourne ont commencé à faire paraître 007 snob par comparaison, la série a répondu en introduisant une incarnation de Bond plus terre à terre et plus sensible, que l’on imaginerait plus facilement à castagner dans les rues. Bond était plus que tout, un homme de son temps.
Puis il a rencontré Tony Stark.
Iron Man, en 2008, a marqué le Big Bang de l’univers cinématique de Marvel, inaugurant une ère où même le plus gros blockbuster d’un studio pouvait se comporter comme un épisode d’un feuilleton TV, tout aussi préoccupé par le teasing du prochain épisode qu’à consolider le conflit en cours. En créant une tempête perpétuelle d’excitation (renforcée par les rumeurs de casting, les scènes post-génériques et le pouvoir d’élevé d’une rhétorique geek avec un vocabulaire comme « Phase I » faisant son entrée dans le vernaculaire des multiplexes), Marvel a utilisé les relations entre les épisodes de ses différents films pour mettre les fans dans un état frénétique constant. Certains s’en sont rendus compte rapidement, et il y a une raison pour laquelle la franchise Fast and Furious s’est vite rabattue sur son casting original pour son 4e épisode, en se concentrant pour construire une famille dense avec sa petite mythologie autour de la tôle froissée et des bruits de moteurs, lui permettant de s’offrir des retours sans difficultés au box-office.
Seules deux années ont passé entre les sorties de Casino Royale (2006) et Quantum of Solace (2008), mais ce délai a été suffisamment long pour que Sony réalise que 007 prenait déjà le risque de devenir une relique. Pour sauver l’espion le plus rentable du monde des griffes de l’obsolescence, le studio a vite pris des mesures drastiques et secoué les fondations d’une franchise plus vieille que la plupart des personnes travaillant à sa réalisation. Ils donneraient à Bond un passé, même si ça lui coûterait son futur.
La séquence d’ouverture de Quantum est juste une autre course poursuite à la James Bond, jusqu’à ce que, en appuyant simplement sur un bouton, elle ne se transforme en moment le plus radicalement innovant de la série d’espionnage pourtant déjà cinquantenaire : après avoir échappé aux méchants (‘bâillement’), Bond gare son Aston Martin salement secouée dans un garage approprié, et ouvre le coffre. A l’intérieur du compartiment se trouve Mr. White, l’homme de main tremblotant à qui 007 rendait une visite pas très courtoise lors de la dernière scène du précédent film. Et juste comme ça, les fans se sont retrouvés à observer le générique de la première suite directe d’un Bond.
Ce pré-générique représente un énorme changement de paradigme pour la série la plus statique du cinéma (seule une poignée de vilains avaient réussi à traverser d’un film à l’autre, mais jamais encore, 007 ne les avais amené avec lui au passage de l’épisode). Skyfall (2012) est quant à lui devenu un épisode inhabituellement puissant, en prenant appui sur les deux précédents drames du Bond de Craig : la mort d’un personnage important a eu d’autant plus d’impact, parce qu’il (elle) était spécialement implanté dans ces précédents films, et que l’on savait que ce Bond ne pourrait pas juste l’ignorer. Cette notion d’établir progressivement une progression narrative entre les différents opus était un choix osé. Mais en arrivant au film suivant, on allait réaliser qu’il s’agissait sans doute de la plus grande trahison de la franchise.
C’est à peine surprenant que SPECTRE (dont le titre même est synonyme d’une sérialisation du mythe de Bond), se contorsionne pour plier l’ère Daniel Craig en une quadrilogie cohérente, comme si ces quatre films avaient toujours été imaginés pour fonctionner comme l’arc narratif discret d’une série de comics se déclinant dans son propre univers. Mais juste parce que quelque chose fonctionne pour Marvel ne veut pas forcément dire que cela fonctionne pour tout le monde. C’est une chose de suivre une tendance, et une autre de remanier toute la façon dont vous racontez des histoires. Et en tissant des allusions et des liens à une mythologie plus grande, sans aucune autre raison que parce qu’elle devait le faire, l’équipe responsable de l’héritage de 007 a rétroactivement pourri la meilleure série de films de Bond, depuis l’âge d’or des Bond de Connery.
Pour rappel : après presque deux heures chassés-croisés avec des sous-fifres dans les montagnes d’Autriche et les rues de Tanger, Bond et sa jolie amie du moment (la Madeleine Swann de Léa Seydoux) arrivent au repère du méchant (construit à l’intérieur d’un cratère, histoire de bien faire). Et alors que l’identité du sadique vilain incarné par Christoph Waltz, Franz Oberhauser, est révélée, le film semble réaliser qu’il ne lui reste plus que 45 minutes pour résoudre toutes les questions sans réponses que la franchise a soulevées depuis Casino Royale. Sans prévenir, SPECTRE regarde par-dessus son épaule, et commence à forcer les trois précédents films de Craig dans la conversation, au point qu’il devient évident que ces aventures n’ont virtuellement rien à voir les unes avec les autres.
A partir de ce moment, SPECTRE titube vers la ligne d’arrivée, avec l’enthousiasme d’un enfant devant payer les dettes de son père, l’intrigue perdant toute sa (pourtant considérable) vitesse pour s’enliser dans un exposé sur la maigre logique liant quatre films. Et Bond revient à Londres pour un affrontement final avec « l’auteur de tous ses malheurs », surlignant des pistes explicatives si discrètement qu’on ne peut même pas faire semblant de poliment fermer les yeux dessus.
La piste ramenant à 007 aux ruines sombres de l’ancien QG du MI6 était évidemment tentante, mais ça ne suffit pas à rendre cohérent le chemin parcouru. A observer le bâtiment s’écrouler et tomber en poussière, on se dit que cela est la métaphore parfaite pour une série qui a construit une belle structure pour son héros, tout ça pour la faire exploser de l’intérieur.
Le problème n’est pas que la série des films avec Daniel Craig ait décidé de donner un passé à James Bond. Le problème est qu’elle l’ait fait uniquement pour satisfaire les demandes du présent. Tout comme mettre un vase devant une forte lumière peut fait apparaître les défauts de sa construction, terminer une histoire peut révéler les faiblesses de sa narration (il suffit de regarder The Dark Knight Rises, ou mieux encore, évitez de le faire !). Dans Skyfall, Silva demande à Bond de « réfléchir à ses péchés » : dans SPECTRE, le public doit payer pour ces derniers. Raconter une histoire sous forme de série liant un épisode à d’autres est possible au cinéma, mais toutes les franchises ne peuvent pas se permettre de jouer avec les mêmes règles, même si les studios fantasment qu’il n’y a pas moyen de faire autrement.
Et puis quand on y pense, depuis quand les règles se sont-elles appliquées à un homme qui a un permis de tuer ? Après cinq décennies d’un jour sans fin, il ne devrait pas avoir peur de voir se propre ombre.
Source : Rolling Stones
Bon, il y a une petite faille dans le raisonnement : si Iron Man ouvre la recette Marvel des films-épisodes, il n’est sorti qu’en 2008, et n’a pas pu influencé Quantum of Solace sorti la même année.
Je pense que Quantum à cette époque, était davantage une réaction à Jason Bourne, et de vouloir profiter des restes de Casino Royale montrant un Bond vulnérable sur le chemin de la vengeance.
Cependant, Skyfall et SPECTRE réutilisent clairement la recette Marvel, déjà en réintroduisant des personnages comme M, Q et Moneypenny comme le feraient les films de super héros qui mettent en scène l’arrivée de personnages de comics connu de tous, puis avec SPECTRE qui effectue effectivement cette recherche de cohérence et d’arc narratif qui se casse la gueule, comme c’est très bien expliqué dans l’article.
bonjour,
Article (comme souvent) très intéressant, il est clair que vouloir rassembler les 3 épisodes précédant dans SPECTRE de manière aussi alambiqué était je trouve assez ridicule et tous sauf crédible…
néanmoins pendant l ère sean connery, (à part goldfinger) ils étaient, sans être des suites ,tous liés au spectre ce qui le rendait d autant plus menaçant.
Je pense qu il faut juste trouvé l’équilibre entre lien entre les films (ce que quantum fait très bien puisque on y voit les conséquences logique de CR ) mais en le pensant au préalable (je pense que le diptyque cr qos était planifé) et non en évoquant de simple liens sortis de nul part…
Je suis d’accord. Ils se seraient contentés d’introduite le SPECTRE avec la réunion, et que White explique à un moment que SPECTRE a récupéré et transformer Quantum en organisation diabolique, ça aurait largement suffit (sans compter que Oberhauser en ‘simple’ patron à la tête du SPECTRE aurait été tout aussi convaincant, voir plus, sans avoir besoin d’une vendetta personnelle face à Bond.