Après que l’agent littéraire de Fleming, Jason-Smith, ait contacté les éditions Gallimard, voici l’avis que donne Marcel Duhamel, créateur de la « Série Noire » chez Gallimard. Voici comment il résume le roman :
Se passe en France dans une petite ville d’eau chère. Longue partie de baccara. L’auteur a un faible pour les explications et les détails. Il s’agit ici de battre au baccara un chef de syndicat communiste qui joue l’argent de la caisse, afin de le ridiculiser et de lui faire perdre la face. Mais les Russes envoient de leur côté une expédition punitive.
Affaire d’espionnage sur une place « voisine » du Touquet. Tout se centre autour d’une partie de chemin de fer carabinée. Dans la meilleure tradition de roman de service secret anglais. Beaucoup d’action, de la violence, un peu d’amour, de la torture, des poursuites en voitures. Peut-être un peu enfantin, mais devrait plaire dans son genre, si l’on parvenait à minimiser le côté « communistes partout » de l’ouvrage, ce qui semble impossible à première vue (pages du début). À faire relire du point de vue « politique ».Il y a une séance de torture qui n’est pas piquée des vers avec notre héros assis sur une chaise percée et le méchant qui le tape par en dessous avec une tapette à tapis. Il paraît que c’est abominable et qu’il a de la chance de n’être pas resté impuissant ! Les trois derniers chapitres essentiellement sentimentaux sont interminables (et inutiles [rajouté à la main]).
Ce blocage sur le coté politique, malgré l’appréciation de la séquence de torture motivera le refus de la « Série Noire » qui retiendra et publiera tout de même un an plus tard Moonraker sous le titre « Entourloupe dans l’azimut ».
Ce n’est qu’en 1960 que le roman sera finalement édité en France aux Presses Internationales, dans la collection « Inter-Espions », sous le titre Espions faites vos jeux.
Cet article est extrait de la contribution de Vincent Bouhours De Casino Royale à Casino Royale dans l’ouvrage commun James Bond (2)007, anatomie d’un mythe populaire, 2007 p 53. C’est par ailleurs une référence en matière d’analyse française du phénomène James Bond qu’on ne serait que recommander !
Bah, reconnaissons qu’il est facile aujourd’hui de railler la note de lecture de Duhamel et la décision de Gallimard (qui, par ailleurs, publiera également Diamonds are forever sous le titre Chauds les glaçons !). Nous avons plusieurs décennies de recul. Enfin, ça fait sourire tout de même.