Il s’agit à la fois d’un fan de James Bond, et d’un lecteur très exigent. La chronique que nous accueillions aujourd’hui sur CJB est rédigée par Gaspard, un des membres du forum. À l’occasion du 60e anniversaire se Casino Royale, il a accepté de partager avec nous sa lecture du roman de Ian Fleming, publiée au départ sur son blog personnel.
Quelle différence entre le Bond du roman et le Bond des films ? Quelles relations entre l’auteur et la France ? Qui est James Bond dans ce premier roman et que vaut Casino Royale comme roman d’espionnage ? Autant de questions qu’aborde avec talent notre premier auteur invité de ce cycle consacré à Ian Fleming !
« L’odeur d’un casino, mélange de fumée et de sueur, devient nauséabonde à trois heures du matin. L’usure nerveuse causée par le jeu – complexe de rapacité, de peur et de tension – devient insupportable ; les sens se réveillent et se révoltent.«
Indéniablement, Ian Fleming connaît bien cette partie de la France. Je me souviens d’ailleurs d’un passage de son roman On her Majesty’s secret service (publié en 1963) où il évoque les pavés des routes de Montreuil-sur-Mer, sous-préfecture du Pas-de-Calais proche du Touquet. Effectivement, pour bien connaitre cette commune, je confirme que ses rues sont en partie pavées et il devait y en avoir plus au moment où Fleming a écrit son livre.
Le créateur de James Bond s’est donc documenté pour écrire Casino Royale et selon toute vraisemblance, la France est un pays qu’il apprécie. Pourtant, la France lui a d’abord mal rendu son intérêt pour elle. Pour sa première édition, le titre est devenu ce ridicule Espions, faites vos jeux aux presses internationales. Mais ce ne sera pas le seul à être retitré de cette façon. Ainsi par exemple, Moonraker deviendra Entourloupe dans l’azimut ou Diamonds are forever sera Chaud les glaçons !. En 1960, PLON l’édite sans le « e » au bout de « Royale » et dans tout le roman, Royale-les-Eaux a perdu son « e » (je l’ai volontairement remis dans les passages cités plus hauts). Il en sera ainsi pour toutes les éditions françaises qui suivront et il faudra attendre 2006 avec la sortie du film éponyme pour qu’une réédition française avec une nouvelle traduction écrive correctement le titre.
La première apparition de James Bond
Dans ce premier roman, on a déjà les personnages qui deviendront récurrents surtout dans les films. Il y a M bien sûr, le chef du MI6 et sa secrétaire Miss Moneypenny, James Bond est rejoint par Felix Leiter de la CIA qui deviendra son ami. Il est amusant de lire M dire à son agent: « Voyez Q pour les questions de chambres d’hôtel, de billets et pour le matériel dont vous avez besoin« , Q étant surtout connu des spectateurs comme le fournisseur de James Bond de gadgets et véhicules transformés en tous genres. En revanche, Bill Tanner, le chef d’Etat Major avec qui on fait connaissance sera peu utilisé dans les films.
Et James Bond ? Comment est-il dans ce premier roman ? La première caractéristique qui apparait rapidement, c’est qu’il est « très bon aux cartes, sinon il n’aurait pas tenu pendant deux mois à Monte-Carlo avant la guerre, à surveiller deux roumains qui travaillaient avec de l’encre sympathique et des lunettes noires« . Et il a plutôt intérêt à être très bon aux cartes puisque sa mission va consister à plumer Le Chiffre au cours d’une partie de Baccara. Son ennemi a en effet organisé cette partie afin de pouvoir rembourser l’argent du SMERSH (organisme soviétique spécialisé dans l’assassinat d’agents de l’Ouest) qu’il a perdu en le plaçant dans l’achat de maisons closes. Le but est d’être débarrassé par le discrédit d’un agent important de l’Est.
Le chef de la section chargé de la surveillance de l’Union Soviétique le présentera à Vesper Lynd avec ces mots: « C’est un homme dévoué à sa tâche. Ne vous attendez pas à une partie de plaisir. Il ne pense qu’à l’affaire en cours, et quand il est dessus c’est un bourreau de travail. Mais c’est un as, et il n’y en a pas tellement, si bien que vous ne perdrez pas votre temps. Il est beau gars, mais ne tombez pas amoureuse. Je ne crois pas qu’il ait beaucoup de cœur« . Bref, un vrai professionnel psychorigide à en croire cette présentation. On est loin du dandy décontracté à la Roger Moore.
Pour devenir un 00, il faut avoir tué deux fois. On apprend dès Casino Royale comment James Bond est devenu 007 et ça n’a pas l’air de l’émouvoir plus que ça:
« Ce n’est pas difficile, d’avoir un double zéro, quand on est prêt à tuer (…) et il n’y a pas de quoi en être particulièrement fier. Je dois mon double zéro aux cadavres d’un expert japonais en code à New York et d’un agent double norvégien à Stockholm. Des gens probablement convenables« .
Ce qu’on sait aussi, c’est qu’il fume. Beaucoup. Des Morland à triple bande dorée composées de tabacs turcs et balkaniques spécialement préparées pour lui. Il aime les boissons fortes, il a lui même imaginé une boisson: trois mesures de Gin Booth’s, une de vodka et une demi mesure de Kina Lillet qui sont passées au shaker jusqu’à ce que ce soit bien frappé. Puis il faut y ajouter un grand zeste de citron., »J’ai horreur des demi-portions en toute chose » commentera Bond.
Physiquement, il a les yeux gris-bleus, des cheveux noirs dont une mèche rebelle descend sur le front et une cicatrice verticale sur toute la joue droite. Et il ne fait aucun doute de son excellente condition physique malgré ses excès de tabac et d’alcool et sa vie loin de tout repos.
Plutôt misogyne, il considère que « Les femmes sont faites pour la récréation« . Il voit d’un mauvais œil le fait qu’une femme, Vesper Lynd, soit son numéro 2 mais il est immédiatement impressionné par elle dès qu’il la voit. Mais en réalité, il finit toujours par s’ennuyer passés les moments de passion avec une femme :
« Avec la plupart des femmes, son attitude était un mélange de laconisme et de passion. Les lentes manœuvres d’approches l’excédaient presque autant que le gâchis qui menait finalement à la rupture. Il trouvait quelque chose de sinistre dans le caractère immuable que présentait le scénario de toutes les intrigues amoureuses. Le schéma conventionnel : boniment sentimental, main effleurée, baiser, baiser passionné, découverte du corps, apogée dans le lit, encore le lit, puis moins de lit, la lassitude, l’amertume finale, lui paraissaient honteux et hypocrites. Bien plus, il fuyait la mise en scène qui accompagne chaque acte de la pièce : rencontre dans une réception, restaurant, taxi, son appartement à lui, son appartement à elle, puis un week-end au bord de mer, de nouveau les appartements, puis les dérobades, les alibis et pour finir la rupture violente sur le pas d’une porte, sous la pluie« .
Enfin, sa mission « Casino Royale » le mènera à reconsidérer les questions du bien et du mal et à les partager avec Mathis. Il se rend compte qu’en quelque sorte il s’estime du côté du bien parce qu’il a été conditionné ainsi, pour qu’il en soit sûr. Voici ce qu’il dit à son ami : « tout cela est bel et bon, (…), le héros tue les méchants. Mais quand le héros Le Chiffre se met à vouloir tuer le méchant Bond, et que le méchant Bond sait qu’il n’est pas du tout méchant, vous apercevez le revers de la médaille. Méchants et héros se trouvent confondus« . Je n’ai pas souvenirs de telles considérations de la part du personnage dans les films même dans l’adaptation avec Daniel Craig pourtant assez fidèle à l’esprit de Fleming.
Un roman d’espionnage à l’épreuve du temps ?
Casino Royale est clairement au-dessus de ces romans d’espionnage qui pullulaient à l’époque et ayant pour personnage principal un agent-secret au service de l’Ouest. On peut mentionner Hubert Bonnisseur de La Bath alias OSS 117 (créé par Jean Bruce) ou Francis Coplan alias FX 18 de Paul Kenny (en réalité un pseudonyme regroupant deux écrivains belges, Jean Libert et Gaston Vandenpanhuyse).
Cependant, on reste quand même au niveau du roman de gare, du roman de gare amélioré certes mais certainement en dessous d’un John Le Carré par exemple. Mais Fleming disait : « J’écris pour des hétérosexuels à sang chaud qui me liront dans les trains, les avions ou dans leur lit« .
L’intrigue est simple, l’histoire se suit sans aucun problème et Fleming a su y inclure quelques rebondissements pour qu’on ne lâche pas en cours de route. Dans mon souvenir, la partie de Baccara durait plus longtemps. Dommage donc que l’auteur n’ait pas un peu plus développé ce point central de son intrigue car les derniers chapitres ont tendance à se trainer alors que les deux premiers tiers du roman ont un rythme plutôt rapide. Curieusement, c’est la même partie du récit qui m’ennuie un peu, que ce soit dans le roman ou dans le film, l’escapade (dans une auberge en bord de mer dans le roman, à Venise dans le film) de James Bond et Vesper Lynd après le séjour à l’hopital de l’agent.
Mais ce qui peut réellement poser quelques problèmes sont les préjugés et considérations flirtant avec le racisme quand ça n’en est pas carrément. Ainsi et entre autres, on peut lire par exemple à propos de l’ennemi Le Chiffre : « Oreilles petites aux larges lobes, décelant la présence de sang juif. Mains petites, soignées, velues. Pieds petits. Probablement un mélange de race méditerranéenne avec des ascendances prussiennes ou polonaise« . Evidemment, ce sont les préconçus de l’époque, tout comme Hergé en avait tel qu’on peut s’en apercevoir à travers Tintin au pays des Soviets ou Tintin au Congo. Aujourd’hui, on ne peut plus écrire de tels propos ou dessiner de telles bandes-dessinées, c’est pour cette raison que ça peut heurter de manière compréhensible. Mais de là à en chercher à obtenir la censure ou y insérer un texte d’avertissement…
Fait unique, Casino Royale a fait l’objet de trois adaptations. La première, très moyenne, date de 1954 pour la série climax mais James Bond (Barry Nelson) y devient américain. La seconde est une parodie assez poussive de 1967 avec David Niven et qui compte pas moins de cinq metteurs en scène. Enfin, la réelle adaptation sera celle de 2006 produite par EON la société qui produit les James bond depuis 1962 (à l’exception de Never say never again en 1983) et qui consistera en un reboot avec Daniel Craig plaçant l’intrigue dans notre monde contemporain.
Lien vers l’article original. Tous nos remerciements à Gaspard !
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[…] bien entendu, n’oublions pas la chronique de Gaspard publiée […]